Virginie Hocq: « Mon nombril s’est déplacé vers celui de ma fille »
Elle est exactement comme on l’imaginait : grande, simple, drôle et déconcertante de franchise et de bienveillance. Depuis la dernière fois que nous l’avons interrogée pour GAEL, Virginie Hocq a vu son père partir et son enfant arriver. Son amoureux, elle en parle beaucoup, tout en restant discrète. Bienvenue dans le monde de Virginie Hocq. Par Florence Hainaut. Photos: Laetizia Bazzoni. »
Les confidences de Virginie Hocq
Avant même d’avoir accouché, vous évoquiez vos craintes. C’était au Voo Rire à Liège: « Cette personne n’est pas terminée que j’ai déjà peur pour elle. J’ai peur qu’elle soit trop grande, qu’elle soit trop petite, j’ai peur qu’elle n’aime pas le théâtre... j’ai peur qu’elle pue ! » Ça va mieux ?
Je suis toujours inquiète. C’est pas rien de faire une petite personne. D’ailleurs, elle n’a pas eu de prénom pendant quinze jours. Billie était prévue le 25 décembre. Mais comme j’ai eu mon enfant à 39 ans, je me suis dit qu’avec mon vieux placenta, ça allait prendre des plombes. Eh bien pas du tout ! Elle est arrivée comme une fleur le 14 décembre. J’ai adoré mon accouchement, j’étais consciente de tous ces gens autour de moi et je trouvais ça super : la kiné, la sage-femme. D’ailleurs, c’est devenu une amie. Pendant tout le boulot qu’elle faisait avec moi, j’étais fascinée par sa générosité. Je pensais à tout ça en accouchant, c’était super. À un tel point que j’ai voulu devenir « doula ».
« Je n’avais pas envie d’être mère avant, j’avais plein d’a-priori, j’aimais mon job, j’étais heureuse. »
Dou-quoi ?
Les doulas sont des femmes qui accompagnent d’autres femmes pendant la grossesse et l’accouchement. Un soutien moral, bienveillant. C’est toujours une envie, vraiment, mais avec mon rythme de vie, ça n’est pas évident. Toutes ces femmes qui viennent de partout dans le monde et qui accouchent ici sans personne, sans visage ami... Ça ne va pas. Je voudrais être ce visage bienveillant pour elles. Il existe une association en France, mais pas encore en Belgique.
C’était un projet que vous aviez depuis longtemps, ce bébé ?
Je n’avais pas envie d’être mère avant, j’avais plein d’a-priori, j’aimais mon job, j’étais heureuse. Je ne voulais pas tout remettre en question, mon métier, ma liberté. Ma mère a mis sa carrière entre parenthèses pour nous et ça, c’était hors de question. Il faut que mon enfant comprenne que j’adore ce que je fais et que ça m’épanouit. Très peu de temps après la naissance de Billie, j’ai repris ma tournée. Mon compagnon est resté avec le bébé et tout le monde criait au génie. Non mais ça va ? Depuis la nuit des temps, c’est le contraire. Lui et moi on a trouvé un équilibre, c’est parfait.
Qu’est-ce qu’elle a changé, Billie, dans votre vie de femme, d’artiste, de citoyenne?
Mon nombril s’est déplacé vers le sien. Et je suis plus consciente de l’état du monde. Récemment, j’ai été abasourdie par ce qui se passe en Australie. J’ai créé une petite personne et je voudrais qu’elle ait envie de participer à quelque chose qui sert aux gens. Quelle pression on met sur ces petits êtres en voulant qu’ils fassent mieux que nous ! De temps en temps, quand Billie me dit des trucs, je l’appelle « maman », on dirait une vieille! On leur parle tellement bien que parfois, on a l’impression d’avoir des mini-adultes. Mais bon, elle est née vieille, elle avait les pieds ridés. C’est un sacré numéro, ma fille.
« Je voudrais qu’elle soit curieuse, qu’elle essaie. Il faut proposer des choix aux enfants. »
Vous avez perdu votre père il y a deux ans.
Mon père était en soins palliatifs. Il n’a pas souffert, il a glissé tout doucement. Et on a eu l’occasion de se dire des choses avant qu’il ne parte. Je lui ai dit que je lui devais beaucoup, que je lui ressemblais, que mon sens de la repartie, c’était clairement lui. Je suis repartie très apaisée. Je ne voulais pas avoir de remords devant une boîte. Il est décédé trois jours après. Quand je l’ai appris, j’étais sur le quai de la gare à Paris, je rentrais le voir, je me suis retrouvée seule avec cette douleur. En revanche, j’ai adoré son enterrement, j’ai adoré l’organiser. C’est un moment tellement douloureux que j’ai voulu faire un truc chouette. Je le connaissais tellement bien ! On a chanté La Petite Gayole. Même le curé, qui n’était pas partant à la base, tapotait du pied. Je n’avais pas envie de sandwichs mous et de café jatte. On a mangé des tartes al d’jote, je servais des bières au bar. Les gens étaient bien, ils n’avaient plus envie de me filer leur douleur. Puis après, j’ai été boire des verres avec mes potes, j’ai pu être entourée et dire ma douleur. Mais c’est un bon souvenir. J’ai déplacé la Toussaint, aussi ! On la fait le 11 mars, parce que c’était une blague à lui: « 11 mars = on se marre ». On se voit en famille, on se fait un apéro, on rigole. C’est notre Toussaint, pour lui. Et la pierre tombale... Fallait voir le type des pompes funèbres, avec sa mine de circonstance, quand je lui ai dit : « Je veux un gros Q. » Mon père tenait beaucoup au Q de Hocq. Et je voulais qu’il soit écrit en grand sur la pierre. L’idée que les gens s’arrêtent devant sa tombe et remarquent le « gros cul », j’adore.
Quel conseil de vos parents regrettez-vous de ne pas avoir écouté ?
Aucun. J’ai tout écouté. À propos de mon métier, mon père me disait: « Il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus. » Ça m’a fait redoubler d’efforts. Ils ne m’ont rien empêchée de faire. Enfin, peut-être une chose... J’aurais adoré qu’on aille visiter plusieurs écoles, pas uniquement le Conservatoire de Bruxelles, où je me suis inscrite un peu par automatisme. J’aurais été heureuse à l’INSAS, je crois, c’était plus créatif. Mais c’est minime comme regret.
Et lequel comptez-vous donner à Billie ?
Je voudrais dire ça a tous les enfants: il y a un proverbe qui dit « Touche à tout, bon à rien » et je ne suis pas d’accord! Il faut essayer plein de trucs, se donner les possibilités de le faire. Je voudrais qu’elle soit curieuse, qu’elle essaie. Il faut proposer des choix aux enfants.
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