Témoignage: Ania Tatou a fait de son handicap une force
Ania Tatou est née avec une seule jambe, a grandi dans une famille adoptive loin de sa Pologne natale, est devenue sportive de haut niveau et n’a jamais arrêté de croire que le meilleur était à venir. Récit d’une rencontre intense avec une jeune femme dont le parcours pourrait faire l’objet de plusieurs romans et d’autant de livres de développement personnel.
Le fabuleux destin d’Ania Tatou
Cette Belge de 26 ans a connu des drames, surmonté des obstacles et appris à vivre avec un lourd handicap, mais ce qui frappe avant tout chez Ania, c’est son regard: bleu, perçant, et cette concentration qui ne semble pas la quitter lorsqu’elle répond à vos questions. Un peu comme si, au fond d’elle-même, elle se sentait investie d’une mission. Quant à son nom d’emprunt, « Tatou », elle le porte fièrement, tel un mantra, comme pour prouver que plus rien ne manque à son bonheur, mais surtout qu’à ses yeux, l’impossible n’existe pas. Quelques mois après avoir retrouvé sa famille biologique, nous l’avons rencontrée, le temps d’un face-à-face intime et un peu déroutant. Déroutant, parce que derrière son visage encore presque enfantin et sa blondeur angélique se cache un mental de guerrière et une maturité qu’on ne s’attendrait pas à trouver chez une jeune femme de 26 ans. Ania semble venir d’une autre planète. Est-ce pour cela qu’il émane d’elle une telle aura ? Plus que probablement. Son parcours nous a en tout cas inspiré ces six leçons de vie.
LE CHEMIN VERS L’ACCEPTATION
« Petite, j’étais très à l’aise avec mon handicap. Je courais partout sur une seule jambe. J’étais très insouciante. Mes parents adoptifs ont d’ailleurs contribué à ce que je vive cette différence avec beaucoup de naturel. Puis, il y a environ huit ans, vers 18 ans, lorsque j’ai eu envie de démarrer ma vie de femme, j’ai senti que j’avais plus de mal à gérer le regard des autres. Tout à coup, j’ai réalisé que je pouvais ressentir de la colère et de la tristesse face à mon handicap. Et que j’en avais tout à fait le droit. Jusque-là, j’avais toujours fait en sorte d’avoir le sourire et de donner le meilleur de moi-même pour que mes parents adoptifs soient fiers de moi. Je suis arrivée en Belgique à 19 mois. En juin dernier, lorsque j’ai fait le voyage jusqu’en Pologne pour retrouver ma mère biologique, donner la place qui leur revient à mes deux familles n’a pas été simple. Après une courte période d’euphorie due aux retrouvailles, j’ai réalisé que je devais reprendre le cours normal de ma vie et accepter qu’on ne rattrape jamais le temps perdu. Retrouver ma famille biologique m’a permis de combler un manque et aussi de comprendre que contrairement à ce que je pensais, ma mère ne m’avait pas abandonnée pendant les 19 mois que j’ai passés à l’hôpital avant d’être adoptée. J’ai appris qu’en réalité, elle était venue me voir tous les jours. Pour moi, ça a tout changé. »
L’AMOUR INCONDITIONNEL
« Je pense avoir reçu beaucoup d’amour. Celui de ma mère biologique, mais aussi celui de mes parents adoptifs, qui ont toujours cru en moi. C’était un amour positif et constructif. Ils m’ont toujours poussée “au plus loin, au plus haut, au plus beau”. Cette phrase est d’ailleurs devenue mon mantra. Pendant longtemps, je ne me suis pas intéressée aux garçons. À 24 ans, j’ai rencontré Anis, mon compagnon actuel. Avant de le connaître, j’ai toujours cru que l’amour devait être méritant. J’étais convaincue que dans mes relations amoureuses ou amicales, je devais mériter l’attention qu’on m’accordait. Anis m’a montré qu’il m’aime inconditionnellement. Ce genre d’amour rend tout possible. J’ai aussi pris de la distance par rapport aux réseaux sociaux. Je passais tellement de temps à observer la vie des autres que j’oubliais qui j’étais et ce que je voulais. Quand on parle d’amour, on oublie souvent l’importance de s’aimer soi-même. Si on passe tout son temps à observer le pseudo-bonheur des autres, comment peut-on savoir ce qui est bon pour nous et, lorsqu’une situation ne nous convient pas, oser dire non ? »
« Désormais, je peux envisager de réaliser d’autres rêves, dont une possible participation aux Jeux olympiques de Tokyo en 2020 »
LA CROYANCE ET LA SPIRITUALITÉ
« J’ai grandi dans une famille catholique et je suis moi-même croyante. Petite, je me glissais en cachette dans la bibliothèque de mes parents. Je dévorais tous leurs livres, dont ceux sur l’histoire des saints. Ces histoires renversantes me captivaient. J’ai une immense croyance en la vie. Je pars du principe que quand on croit aux choses, elles arrivent. C’est valable dans ma vie, dans le sport, dans tout. Je suis convaincue que la vie m’envoie des signes en permanence. Le chiffre 13 me suit partout. Les bonnes nouvelles m’arrivent toujours ce jour-là. En retrouvant ma famille biologique, j’ai découvert que mon arrière-grand-père maternel avait perdu sa jambe droite à la guerre. Pour moi, ce n’est pas juste un hasard. J’ai beaucoup de respect pour les vétérans. Sans que je puisse vraiment expliquer pourquoi, je sens qu’une de mes missions est de le représenter. Cette conviction profonde me permet de mieux accepter mon handicap. De manière générale, je crois en ma bonne étoile, en l’idée d’un ange gardien qui me protège et me permet d’atteindre tous mes objectifs. Depuis toute petite, j’ai toujours cru que courir avait un sens. Contrairement aux autres sportifs unijambistes, je n’étais pas censée pouvoir courir un jour avec une prothèse de course. La taille de mon moignon ne permet théoriquement pas d’y fixer une lame de course. Sauf que j’y ai cru tout de même. J’ai cru que j’aurais le mental nécessaire pour propulser cette lame. Et ça a marché. Désormais, je peux envisager de réaliser d’autres rêves, dont une possible participation aux Jeux olympiques de Tokyo en 2020. »
L’ESPRIT DE COMBATIVITÉ
« À 18 ans, j’ai convaincu les médecins et les prothésistes de me laisser tester une nouvelle prothèse de marche — celle que j’avais jusque-là m’arrivait jusqu’au nombril et m’empêchait de me mouvoir librement —, alors que tout le monde tentait de me persuader que je ne pourrais pas la supporter, faute d’appui pour la fixer (à l’échelle mondiale, Ania est la première sportive dépourvue de fémur à pouvoir courir sur une lame, NDLR). Au début, la douleur était terrible, mais j’ai tenu bon. Quand je cours, j’ai aussi très mal, mais la sensation du vent qui me caresse la joue quand je cours à l’extérieur est plus forte que la douleur. Mes parents adoptifs m’ont expliqué qu’à ma première sortie de l’hôpital, après dix-neuf mois passés à l’intérieur sans voir la lumière du jour, cette même sensation du vent sur mon visage m’avait fait sourire. Je n’ai évidemment aucun souvenir de cet épisode, mais une fois de plus, je vois ça comme un signe du destin.
« Être combatif, à mon sens, c’est accepter de tomber et pouvoir en rire pour mieux se relever et continuer à avancer. »
Il y a un projet auquel j’ai participé et qui me rend très fière. La photographe roumaine Mihaela Noroc, auteure du livre The Atlas of Beauty, a voyagé dans le monde entier pour photographier des femmes à la beauté atypique. Notre rencontre a donné naissance à une série d’images qui signifient beaucoup pour moi. Après la diffusion des photos, j’ai reçu des messages du monde entier. J’ai soudain compris que je pouvais apporter quelque chose au monde et donner du courage à d’autres gens. Mais quoi qu’il en soit, j’essaie de ne pas trop me prendre au sérieux. Être combatif, à mon sens, c’est accepter de tomber et pouvoir en rire pour mieux se relever et continuer à avancer. Je ne considère pas les ratés comme des échecs, mais comme des essais. La vie, c’est comme la boxe. Il faut accepter de recevoir des coups et pouvoir en donner en retour. »
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