Thierry Janssen: « être créatif, c’est laisser le monde extérieur rencontrer votre monde intérieur »
Certains le prennent pour un doux illuminé, d’autres ne jurent que par ses ouvrages, son enseignement, ses séances de méditation en ligne qui ont réuni des milliers de personnes pendant la Covid. Thierry Janssen, notre GAEL Guest du mois, a eu mille vies avant de trouver la sienne. Sur son CV, rien n’a l’air d’avoir de sens. Et pourtant, tout est cohérent. Par Florence Hainaut. Photos : Laetizia Bazzoni.
Quel est le point commun entre un gamin passionné d’égyptologie, un jeune homme harcelé à l’école à cause de sa sensibilité, un chirurgien exerçant à l’université, le directeur d’une marque de prêt-à-porter de luxe, un thérapeute et quelqu’un qui enseigne la « posture juste » pour s’adapter au mieux aux circonstances de l’existence ? C’est Thierry Janssen, qui a tout vu, tout vécu. Du moins tout ce qui est cité précédemment. Si l’homme est si sage et si bien dans ses baskets (que l’on est prié d’enlever quand on entre dans son immaculé chez-lui), c’est parce qu’il a essayé beaucoup de modèles de chaussures, qu’il s’est beaucoup blessé et a parfois boîté avant de découvrir que la vie, c’est plus chouette en chaussettes.
Il fait super ordonné, chez vous…
J’ai toujours été comme ça. J’ai une façon de vivre très ordonnée qui me rassure, qui m’allège. J’aime les espaces chargés chez les autres mais chez moi, ça doit être épuré pour que les choses puissent émerger, c’est la condition de ma créativité. Et puis je n’aime pas trop posséder, histoire de rester libre et léger.
C’est quoi, pour vous, être créatif ?
Pour moi, être créatif, c’est laisser le monde extérieur rencontrer votre monde intérieur et permettre à quelque chose d’original de surgir de cette rencontre. Pour que cela se produise, il faut de l’espace, en soi et autour de soi, en tout cas pour moi. Si je suis entouré d’informations, si l’environnement est trop chargé et trop plein de sollicitations, il n’y a pas l’espace pour que la créativité pointe le bout de son nez. Il me faut du silence. Et le silence, ce n’est pas nécessairement l’absence de bruit, c’est l’espace dans lequel tout naît et tout disparaît. C’est comme la musique : c’est le silence entre les notes qui la crée. Si ces intervalles silencieux n’existaient pas, la musique ne serait pas une mélodie, mais un bruit continu.
La créativité, on l’a en soi ou c’est une compétence qui peut s’acquérir ?
Je pense que c’est une aptitude que nous avons tous, mais qui est souvent inhibée, voire tuée. J’étais un petit garçon qui vivait un peu à l’écart des autres. J’avais un corps déformé, les autres enfants se moquaient de moi. C’est dans cet espace retiré que ma créativité s’est révélée. Parfois, je suis inquiet quand je vois à quel point on occupe les enfants aujourd’hui. Ils ont solfège, judo, scouts, gym, danse… Ça ne s’arrête jamais. On leur apprend à performer, mais il me semble nécessaire de leur laisser un espace pour créer.
Vous disiez que petit, vous aviez un corps déformé ?
Quand j’étais enfant, on m’appelait le Biafrais. C’était l’époque de la famine au Biafra. J’étais très maigre, on voyait mes côtes. J’entends encore les adultes parler de moi comme d’un corps malade. Je n’avais pas les genoux droits, j’avais un pectus excavatum, donc une déformation de la cage thoracique. Je louchais et j’avais les dents écartées aussi. On a passé mon enfance à me corriger. Je sais aussi très bien ce que signifie le harcèlement scolaire. J’ai subi des violences physiques et sexuelles. Je n’osais pas le dire à mes parents. J’ai cru qu’à 18 ans, en quittant l’école, ça serait fini. Ça a continué même à l’époque où j’étais chirurgien. Je n’ai jamais caché mon homosexualité, sans m’afficher pour autant. Certains mâles alpha de l’hôpital où j’exerçais ont été odieux. Mais si je devais resigner pour une vie, j’opterais pour la même sexualité, parce que celle-ci m’a appris à m’accepter tel que je suis et à accepter les autres tels qu’ils sont.
Imaginez : un alien arrive sur Terre et vous demande de décrire votre métier, vous lui dites quoi ?
Je suis un guérisseur et pour guérir, j’apprends aux gens à ouvrir leur cœur. J’espère qu’il comprendrait… En tant que chirurgien, j’ai essayé de soigner les gens mécaniquement. Mais dès que j’ai quitté ce métier, j’ai compris que pour guérir, ou plutôt pour permettre à autrui de guérir, il faut ouvrir son cœur.
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