Meet our Guests: Jérémie et Yannick Renier en vrai
Les deux frères coréalisent Carnivores, un polar inspiré de leur fraternité tumultueuse. L’occasion de leur tirer un portrait commun, entre réalité et cinéma. Par Juliette Goudot. Photos: Filip van Roe.
Rival, moi non plus
L’un arrive avec quelques minutes d’avance, veste de moto noire, tignasse brune et moustache de cosaque, vestige d’une pièce russe de Gorki. L’autre le rejoint très vite, félin et virevoltant, yeux clairs et barbe blonde. Ils se parlent à peine, et d’un regard se sont sans doute tout dit, avec cette complicité que seuls les frères partagent. Les deux acteurs, passés à l’âge d’homme (43 ans pour Yannick, 37 pour Jérémie), s’installent dans la bibliothèque d’un hôtel bruxellois, cette fois sous la casquette de réalisateurs pour parler de Carnivores, un polar envoûtant sur la rivalité de deux sœurs comédiennes (les actrices Zita Hanrot et Leïla Bekhti) qui plonge dans les racines de leur relation et se déploie avec une élégance très anglo-saxonne.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Leurs différences de demi-frères (ils sont nés à six ans d’écart d’un même papa, mais de mamans différentes) semblent s’être gommées devant ce projet qui a réuni leurs chemins de traverse. La précocité de Jérémie — plus de quarante films depuis son rôle dans La Promesse des frères Dardenne, décroché à 14 ans — a rejoint l’énergie théâtrale de Yannick, qui enchaîne les tournées avec la Compagnie du vendredi. Aujourd’hui, les voilà tous deux pères (un fils et une fille pour Yannick, deux garçons pour Jérémie) et coréalisateurs d’un film qu’ils portent en eux depuis douze ans, tout en cultivant leurs tropismes. Jérémie se partage entre Paris, Valence et Bruxelles, où il a ouvert deux bars à cocktails dans le quartier du Sablon (le Vertigo et le Jalousy, où l’on peut croiser Stromae et François Damiens). Yannick revient de Sicile, des projets de théâtre plein la tête et l’envie de «faire le vide» après la sortie de Carnivores. L’un commande un thé vert, l’autre un coca et la conversation commence, interrompue par des digressions sur le cinéma de Pialat ou les frères Van Gogh, Théo et Vincent, à qui l’on se prend soudain à les comparer furieusement.
Photos: Filip van Roe
3 choses à savoir sur les frères Renier
Bruxellois de souche
Jérémie «J’ai beaucoup vécu à l’extérieur de Bruxelles, mais je me sens lié à cette ville quand j’y reviens. À sa douceur, à sa grisaille, à sa mélancolie. J’y retrouve mes racines. Un peu comme lorsque je suis retourné à Liège tourner le second film des Dardenne, L’Enfant (Palme d’or 2005, neuf ans après La Promesse, NDLR), j’ai eu le sentiment de revenir à la source, aux origines.»
Yannick «On a beaucoup déménagé, mais de mon côté, je me sens plus appartenir à un quartier qu’à une ville. J’ai fait l’académie à Saint-Gilles et je suis resté dans ce quartier cosmopolite, bobo ou artiste, ça dépend comment on veut l’appeler. C’est un univers très différent des communes plus “propres” de l’est de Bruxelles où j’ai grandi. Aujourd’hui, je suis heureux de croiser des amis dans mon quartier, d’y connaître les commerçants, les gens du marché. C’est chez moi. J’aime cette vie de quartier, même si j’ai aussi beaucoup travaillé en dehors de Bruxelles ces dernières années.»
Le cinéma dans le sang
Yannick «Notre père nous a montré beaucoup de films, enfants. Des films étonnants qui passaient à l’époque dans la fameuse émission L’Ecran témoin du lundi soir et qu’il enregistrait. C’étaient les films qu’il aimait, des films d’art et d’essai un peu intimistes. Et dans les moments où on n’était pas là, Jérémie était assez seul et il regardait tout. Ça allait de Nuit d’été en ville avec Marie Trintignant et Jean-Hugues Anglade à Koyaanisqatsi (documentaire expérimental culte, NDLR). Il avait déjà cette boulimie de cinéma, ce plaisir-là.»
Jérémie «Oui, quand j’étais malade, je restais à la maison et je mettais les cassettes dans le lecteur. J’avais accès à des films qui n’étaient pas de mon âge et je découvrais ces univers avec une immense curiosité. Je me souviens de L’Odeur de la papaye verte, de 37°2 le matin de Beineix. Mais notre père ne nous parlait pas des films manière intellectuelle, plutôt de manière sensible, c’est peut-être pour ça que ça nous a marqués. Je me souviens aussi qu’on le forçait parfois à regarder des films avec nous rien que pour le voir rire. Parce que quand il rit aussi, c’est dément.»
Frères, mais différents
Jérémie «Je pense que j’ai traversé jeune le fait que Yannick était très droit, très serviable. Il était l’homme parfait, et moi pas. Moi je suis très vite sorti la nuit, très jeune, vers 13-14 ans, avec des gens plus âgés que moi. J’aime la nuit, j’aime l’ivresse. Je suis parti de chez moi à 17 ans par amour pour une actrice et parce que j’en avais marre du milieu de la nuit à Bruxelles. Mais quand je revenais, j’allais chez Yannick, dans son appart, c’était cool. Aujourd’hui, j’ai besoin du calme de la campagne en Espagne. Pour être acteur, il faut pouvoir se remplir, se nourrir. Sinon, ce que tu montres à l’écran n’est pas intéressant.»
Yannick «C’est vrai que j’ai pris le rôle du bon fils, en même temps j’enviais tout ce que Jérémie pouvait exprimer autant à l’écran que dans sa vie. Il pouvait assumer sa mauvaise humeur et ses zones d’ombre. Je n’arrivais pas à exprimer tout cela. Observer la vie de Jérémie, ça m’a montré que ça pouvait être bien de sortir du regard des autres, de ne pas avoir peur du jugement. On s’est retrouvé et ça a équilibré les pôles.»
Retrouvez cette rencontre en intégralité dans le GAEL d’avril, disponible en librairie!
Plus de Guests:
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici