(c)Laetizia Bazzoni

Laura Laune: « L’humour noir, c’est un réflexe pour désamorcer les choses graves »

Asperger, humour noir et conventions sociales: l’humoriste belge Laura Laune, notre GAEL Guest du mois de janvier, se livre à notre journaliste. Par Maïder Dechamps. Photos : Laetizia Bazzoni.

Dans ton métier, ça a changé quoi, de te savoir Asperger ?

Laura Laune: J’ai réalisé que si j’avais ce type d’humour, c’est aussi parce que j’ai cette vision particulière du monde. Mon autisme me fait voir les choses sans filtre. Une caractéristique du spectre autistique, c’est de parler sans tabou, d’avoir du mal à comprendre les conventions sociales... C’est une chose que je retrouve dans mon personnage de scène. Elle peut dire les pires horreurs.

Ce personnage, c’est une peu Laura quand elle ne fait pas carburer son cerveau pour se plier aux conventions sociales ?

Laura Laune: Carrément ! Typiquement, les femmes autistes vont encore plus essayer que les hommes de correspondre aux normes et de se plier à ce que la société attend pour que leur handicap soit invisible. Donc ce personnage, c’est ma façon de dire : je vais vous présenter mon monde, ma façon de voir.

Ton humour est grinçant... Comment tu fais pour rassembler autant de public avec un style aussi trash ?

Laura Laune: J’ai toujours eu ce type d’humour. Longtemps, on m’a dit que ça ne serait jamais un humour grand public, que ça resterait confidentiel. Du coup, j’ai été très surprise de gagner la finale d’une émission aussi familiale que La France a un incroyable talent. J’ai réalisé que mon humour parlait à plus de monde qu’on me l’avait laissé croire. Même si je sais bien que ce type d’humour, soit on adore, soit on déteste.

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Ton style peut avoir l’air spontané, mais en réalité, tes blagues ont plusieurs niveaux de lecture. Tu fais rire, mais tu fais réfléchir aussi, sans leçon de morale...

Laura Laune: Je ne veux jamais que ça ait l’air moralisateur. Je veux que chacun puisse prendre le niveau de lecture qu’il veut, celui auquel il a accès... Certains trouvent ça juste drôle, mais il y a parfois des choses plus profondes. J’écris sur des choses qui me blessent ou qui me choquent, difficiles à accepter. J’écris avec beaucoup de sincérité et j’aime qu’il y ait plusieurs niveaux de compréhension. Avec mon nouveau spectacle, Glory Alléluia, il y a des gens qui rachètent directement des billets en sortant de la salle : « Maintenant que j’ai vu la fin, je réalise qu’il y a plein de choses qui étaient là au début et qu’on ne peut pas comprendre tout de suite. »

Tu as étudié la pédagogie pendant deux ans. Visiblement, il en est resté quelque chose.

Laura Laune: Je n’y avais jamais pensé, mais c’est vrai. J’ai fait cinq ans d’architecture et puis deux ans de pédagogie. J’ai toujours aimé ça. Quand j’étais prof (Laura a enseigné le dessin technique et la technologie pour les soudeurs et bétonneurs au lycée provincial d’Hornu-Colfontaine, NDLR), il y avait le côté théâtral et puis le côté un peu plus stratégique : comment surprendre les élèves pour avoir leur attention ? Je fais la même chose sur scène.

Tu n’as pas peur de réunir autour de toi des gens haineux ? Des antisémites, des islamophobes, des homophobes qui rient au premier degré de la blague ?

Laura Laune: Ça pourrait être le cas sur un bout de sketch ou un extrait, mais dans l’ensemble du spectacle, j’essaie de mettre assez d’indices pour qu’on comprenne le fond de ma pensée. Et puis, surtout, on se dit que c’est mon personnage qui est fou, extravagant, qui a une vision du monde absurde.

On entend souvent : « On ne peut plus rien dire, on ne peut plus rire de rien… » Tu es d’accord ?

Laura Laune: Non, au contraire, j’ai toujours pensé que l’humour noir, c’est un réflexe très humain pour désamorcer les choses graves qui nous arrivent. Finalement, c’est un humour très fédérateur. Par exemple, je fais une vanne sur le handicap. S’il y a des personnes handicapées dans la salle, ce sont plutôt les autres qui vont être choquées pour elles. Alors que ces personnes-là viennent me dire à la fin : « Merci de faire de l’humour sur nous, parce qu’on se sent inclus. Merci de nous faire exister, de ne pas trouver que c’est honteux de parler de nous, de faire tomber le tabou autour du handicap. » Pour moi, c’est une façon justement très bienveillante de voir le monde. Quand j’ai rencontré Guillaume Bats (humoriste français atteint de la maladie des os de verre et décédé en juin 2023, NDLR), je n’ai pas fait semblant de ne pas voir son handicap. Au contraire, j’ai mis les pieds dans le plat et je l’ai laissé se positionner par rapport à sa situation. En parler, c’est une façon de dire : « Moi, en fait, je m’en fous, ça ne change rien. »

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