La photo perso de Hadja Lahbib, ministre des Affaires étrangères
Chaque mois, GAEL demande à une personnalité de raconter une histoire autour d’un cliché perso. Au tour de Hadja Lhabib, la ministre des Affaires étrangères, de se dévoiler. Par Anne-Sophie Kersten. Photos : Eric Herchaft.
Rêves d’avenir
« Cette image a été prise le 20 décembre dernier au palais d’Egmont, à Bruxelles. Le ministère des Affaires étrangères sortait de plusieurs jours de workshop “An Afghan vision for Afghanistan” mené afin d’écouter la société civile afghane et d’identifier les meilleurs moyens de soutenir ce peuple en souffrance. Il y avait des citoyens afghans, un imam, divers représentants de la société civile afghane, tous à réfléchir aux moyens de survie aujourd’hui et demain dans ce pays où les Talibans sont désormais au pouvoir.
J’ai découvert ce cliché après. Sur le moment, je ne m’étais pas rendu compte de la présence d’Eric Herchaft, photographe très discret. Cette femme vient de m’offrir un bijou ciselé à partir d’éclats de balles, un objet tout en finesse fait de la violence subie par ce peuple. Ce cadeau m’a procuré une émotion intense. Je n’oublierai jamais le visage de cette femme qui faisait le choix de retourner en Afghanistan malgré les Talibans. Je ne sais si je la reverrai, mais je veux retenir son immense courage et m’en inspirer. Nous nous prenons dans les bras en guise d’au revoir, je suis appelée par les autres responsabilités, multiples, qui incombent à ma fonction. Les sujets brûlants ne manquent pas : l’Est de la République démocratique du Congo, la guerre en Ukraine, le sort de notre compatriote Olivier Vandecasteele injustement détenu en Iran... Je n’ai pas envie de quitter la conférence, mais je dois faire confiance à ceux qui ont pour mission de concrétiser les idées issues de cet atelier.
« Cette photo représente en outre à mes yeux un lien entre ma vie passée de journaliste et ma vie actuelle. »
Cette photo représente en outre à mes yeux un lien entre ma vie passée de journaliste et ma vie actuelle. De témoin qui montre à voir et à comprendre, je suis passée à un poste de prise de décisions. J’ai réalisé mon premier reportage en Afghanistan en 2001, juste avant que la guerre n’y éclate. Pendant les dix ans qui ont suivi, j’ai réalisé des dizaines de reportages là-bas et le documentaire Afghanistan, le choix des femmes. Sur place, il m’est arrivé d’aussi tendre le micro à des Talibans, qui refusaient de me regarder. En tant que journaliste, on cherche à comprendre. En diplomatie, on doit également tenter de comprendre tous les points de vue. C’est nécessaire pour faire avancer les choses. Bien sûr, on se pose la question : faut-il parler avec tout le monde ? Certains pensent qu’on ne devrait pas discuter avec les “ États voyous”. Je pense que quand il n’y a pas d’autre choix, il vaut mieux maintenir le dialogue à certaines conditions et en gardant à l’esprit d’éviter d’aggraver l’isolement des populations. Il faut éviter à tout prix de figer les relations sans la moindre possibilité d’influencer le cours des événements.
Quand je suis devenue ministre, ma première initiative a été de réfléchir à un projet pour permettre aux Afghans, en particulier aux femmes, de faire entendre leurs voix. Un réseau de correspondantes a été mis en place à travers le pays. Des femmes vont suivre une formation aux médias via une ONG basée à Kaboul. L’objectif est qu’elles puissent faire parvenir leurs messages au monde à travers des relais en Belgique, où siègent des institutions internationales comme l’Europe et l’OTAN. Avant de m’engager en tant que ministre des Affaires étrangères, j’ai tenu à m’assurer que je pourrais laisser une “ legacy ”, comme on dit dans le jargon, une trace, avoir un impact, la possibilité de contribuer à améliorer le monde. Quitte à passer pour une utopiste, j’ai toujours cru en cette force : avoir des rêves, mettre toute l’énergie nécessaire pour les réaliser. »
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