Guillermo Guiz: « Je suis obligé de transgresser la norme pour faire rire »

De retour avec son nouveau spectacle « Au Suivant! », Guillermo Guiz, notre Guest du mois, se confie sur l’art délicat du stand-up et son rapport à la scène. D’après un texte de Florence Hainaut. Photos: Laetizia Bazzoni.

Est-ce qu’il y a des sketchs que tu as fait et que tu ne referais pas ?

Oui, bien sûr, il y a des blagues que je ne referais pas. Je pouvais rigoler un peu gratuitement, de manière insouciante. Mais aujourd’hui, ça ne passerait que si derrière, tu dénonces quelque chose. J’ai un sketch sur le « viol altruiste », je continue à le faire, je le faisais avant Me Too. C’est un des premiers que j’ai écrits. Mon propos, c’était de dire : « En tant que mec, on a vite l’impression qu’on est autorisé à tout. » Le sketch parle de ça, il dénonce une attitude. Aujourd’hui, il y a forcément des gens qui pourraient trouver ça malvenu, mais je me sens droit dans mes bottes. C’est toujours ça que j’ai voulu faire dans le stand-up : afficher mes travers, être honnête, sincère, ne pas avoir peur de parler de mes failles.

C’est un art délicat, non ?

J’essaie de comprendre l’époque dans laquelle je vis, de comprendre les motivations, les ressorts psychologiques des uns et des autres et de m’adapter à ça. Mais mon objectif est de faire marrer les gens. Je suis obligé de jouer avec cette corde d’équilibriste sur laquelle tous les gens qui font de l’humour borderline marchent. Si tu fais une blague sur le fait que t’as perdu tes clés, tu ne peux pas déraper. Mais dès que tu veux parler de la société, de féminisme, de racisme, de sexisme, d’homophobie, si c’est ça que t’as envie de mettre sur la table, t’es obligé de prendre des risques.

« Je ne suis pas à l’abri d’un dérapage ni d’une mise au ban par un groupe qui n’aura pas supporté une blague, mais je suis prêt à ça. »

Si j’arrive sur scène et que je dis : « C’est scandaleux que les femmes gagnent moins que les hommes », tout le monde va être d’accord, mais ça va faire rire personne. Si j’en fais une blague en justifiant la différence de salaire, alors ça devient potentiellement drôle. Mais en fait, le message est le même. Je suis obligé de transgresser la norme pour faire rire. L’important étant d’être suffisamment talentueux pour balayer les équivoques. L’enjeu est là, jouer devant des femmes, faire des blagues misogynes et les faire rire de bon cœur parce qu’elles vont comprendre qu’on ne rigole pas d’elles, mais avec elles.

La frontière est souvent ténue...

J’ai grandi avec un père misogyne, dans un monde où les femmes étaient déconsidérées, mes modèles étaient des hommes. J’essaie d’arriver sur scène et de faire des blagues sur ça. Mais je fais attention. Aujourd’hui, je me demande : « Est-ce que dire enculé, c’est homophobe ? » Je suis les débats, je me pose des questions. Je ne suis pas d’accord avec tout, mais je me renseigne. L’humour, c’est jouer avec des clichés, les déconstruire, jongler avec. Je ne suis pas à l’abri d’un dérapage ni d’une mise au ban par un groupe qui n’aura pas supporté une blague, mais je suis prêt à ça.

En te voyant sur scène, on pourrait croire que tu es quelqu’un de très à l’aise. Mais en vrai, on sent que socialement, c’est pas toujours la fête.

Avant de faire de la scène, ma plus grande hantise, c’était que l’attention se focalise sur moi. Ça va mieux, mais c’est toujours plus dur de sortir de scène que d’être dessus. Ça commence quand les gens m’applaudissent, je ne sais jamais si je dois revenir faire un rappel ou pas, j’ai envie de m’enfuir. Puis après le spectacle, quand je bois un verre avec le public, c’est pas toujours évident. Des gens font parfois 100 kilomètres pour te voir, tu te retrouves face à ta légitimité, ton complexe d’imposture. Je suis supposé être drôle tout le temps. Mais c’est pas du tout le cas ! Sur scène, j’ai ma légitimité : j’écris des blagues, les gens viennent pour ça, j’arrive avec mon sac à blagues et voilà. En dehors, c’est moins confortable. J’ai passé plus de temps, dans ma vie, à ne pas être humoriste qu’à l’être. La majeure partie de ma vie a consisté à ne pas avoir de gens qui m’écoutent parler. Mon modèle normal, d’origine, c’est être discret.

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