Guillermo Guiz: « J’ai peut-être perdu mon insouciance amoureuse »
La première fois qu’on l’a vu sur scène, il rôdait son premier spectacle et on est tombés en amour immédiat pour ce type drôle à en laminer les abdominaux. 1,88 m d’intelligence, de failles et d’humour trash. De gentillesse aussi, parce que ce garçon de 37 ans est fondamentalement charmant. Par Florence Hainaut. Photos: Laetizia Bazzoni.
Le stand-up, c’est une lubie ? Ou une suite logique ?
Il faut prendre les tangentes au bon moment ou au moins essayer de ne pas se laisser dépasser par des choses qui te pèsent. J’ai tendance à aller vite vers ailleurs en me disant qu’il y a plein de choses à explorer, sans doute plus intéressantes. Quand j’étais journaliste, il y a un moment où, curieusement, je gagnais bien ma vie. Je faisais des dossiers, j’écrivais des pages et des pages entières sur des trucs qui ne m’intéressaient pas, mais je vivais bien. Beaucoup de gens se seraient contentés de ça. Mais gagner ma vie pour gagner ma vie sans trouver de sens ni de valeur à ce que je faisais, je ne voyais pas trop l’intérêt. Donc j’ai pris la tangente.
Tu étais comment, quand tu étais petit ?
J’étais un gamin à la fois torturé et plein d’espoir. Je pensais vraiment que je deviendrais footballeur, je ne vivais que par ça. Je dormais avec mes nouvelles chaussures de foot ou mon ballon, j’étais vraiment passionné et j’avais une idée fixe : être joueur professionnel. Mais en même temps, j’étais un petit garçon déjà anormalement conscient des enjeux du siècle. Quand Guy Spitaels a perdu les élections en 91 et qu’il est devenu ministre président du gouvernement wallon, je le prenais comme une défaite perso, je pleurais à chaudes larmes. J’avais des préoccupations, pour un petit footballeur à Molenbeek, un peu plus étonnantes que celles de mes camarades de jeu.
« “Vivre, c’est apprendre à mourir”, c’est l’une des phrases qui me décrit le mieux »
Tu as commencé tôt ta carrière de questionneur existentiel.
Très vite, j’ai eu peur de la mort. À 12 ans, à l’école, Monsieur Cuvelier, le prof de morale, nous a fait lire De la brièveté de la vie, de Sénèque, ça a été un choc. J’ai commencé à sentir l’importance de profiter de la vie. Je voyais le temps qui passait comme un sablier qui m’envoyait des grains sur la tête en mode supplice chinois. En j’en suis toujours là. « Vivre, c’est apprendre à mourir », c’est l’une des phrases qui me décrit le mieux.
Tu te sers de ta famille, dans tes spectacles. Tu parles de la mort de ta mère, des côtés les moins glorieux de ton père. Mais jamais de ta sœur.
Parce que c’est la plus équilibrée de la famille, c’est l’antithèse de ce que je suis. Elle a quatre enfants, elle est mariée, en couple depuis plus de trente ans. Et c’est quelqu’un de merveilleux, de pur, de gentil. Or, ce sont les défauts qui font rire...
Quel regard porte-t-elle sur toi ?
Elle me voit avec beaucoup de tendresse et de bienveillance, elle essaie d’être là au maximum. Ma sœur, c’est mon seul cocon familial, c’est l’endroit où je peux lâcher les vannes et être moi-même.
« Je pense que pour vivre une histoire d’amour, il faut accepter le premier degré, être cucul »
Tu parles de sexe, beaucoup du tien, un peu aussi de celui des femmes. Mais pas de sentiments. C’est quoi, ton rapport aux femmes ?
Je vais un peu plus creuser ça dans le prochain spectacle. Mais c’est dur à dire, je ne suis pas doué pour ça, le romantisme. Plus j’avance, plus ça devient dur de pas être en méta-position tout le temps, de ne pas voir les ressorts, les mécanismes. Je pense que pour vivre une histoire d’amour, il faut accepter le premier degré, être cucul. Et à un moment, j’ai du mal, je n’arrive plus à me lâcher dans ce genre de truc. J’ai peut-être perdu mon insouciance amoureuse, ce qui est nécessaire à la formation d’une belle histoire.
Depuis que tu es célèbre ?
Je reçois plus de marques d’intérêt, clairement. Mais j’étais le même genre de mec avant. Il y a dix ans, j’étais exactement pareil, une espèce de demi-séducteur. Il y a peu de choses chouettes et marrantes dans la vie, mais le moment où tu essaies de séduire quelqu’un qui veut bien se laisser séduire, ça fait partie des moments de grâce. Une journée humaine traditionnelle, c’est quand même pas dingue. Compte le nombre de fois où tu dis : « Fait chier... » Quand t’es à ton troisième verre, désinhibé et que la personne en face de toi n’est pas insensible à tes conneries, ce sont des moments doux. Tant qu’à faire, j’essaie de vivre ça régulièrement.
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