Famille et rêves d’enfance: Jérôme Colin se dévoile, côté privé
À la radio dans Entrez sans frapper (La Première) et en télé dans Hep Taxi ! (La Trois), Jérôme Colin écoute les autres. À lui maintenant de se livrer. D’après une interview de Myriam Leroy. Photo cover: Laetizia Bazzoni.
Jérôme Colin est un homme que l’on pourrait qualifier, faute de mieux, de « vrai » (mais en existe-t-il de faux ?). Il a l’air expansif, vite vu, comme ça, mais c’est un garçon pudique, doté d’un talent fou pour faire parler les autres, et d’un talent tout aussi fou pour protéger ses secrets. C’est un émotif, un sentimental, qui dissimule derrière des manières cash une passion ardente pour la beauté, l’amour, l’absolu. Dans son discours, Colette, sa femme, n’est jamais loin. Ses trois enfants (15, 17 et 19 ans) non plus. De même que l’auteur italien Erri De Luca, qui a révélé à Jérôme son mantra : « Que sais-je de demain ? Ici, il y a tout l’aujourd’hui qu’il faut. »
Est-ce que tu ressembles à celui que tu voulais être plus tard, quand tu étais petit ?
Pas du tout. C’est désespérant !
Tu voulais être qui/quoi, quand tu étais petit ?
Moi, je voulais faire du théâtre, c’était ça qui m’intéressait.
Pas du cinéma, du théâtre ?
Quand j’étais gamin, j’ai fait du théâtre à l’école et ça a été une espèce de révélation parce que comme j’avais beaucoup de mal à exister dans un groupe, tout à coup j’ai pu réellement faire partie d’une bande, d’une troupe. On avait un objectif qui n’était pas juste de s’asseoir, fumer des clopes, boire des coups et draguer des filles. On voulait réaliser quelque chose et j’ai trouvé ça très beau. Ça m’a changé.
Tu as eu quoi, comme enfance ?
J’ai eu une famille super attentionnée, très présente. J’habitais à la campagne, à
Flawinne, je traversais la rue et j’étais dans la forêt. J’y ai passé toute mon enfance, au milieu des arbres. À jouer avec les gamins de la rue, trouver des salamandres et les mettre dans des vivariums (rire), à pêcher et lire. Je ne travaillais pas pour l’école, jamais. Je rentrais, je prenais mon vélo et j’allais dans la forêt.
Cette forêt, tu l’as remplacée par quoi, aujourd’hui ?
Probablement l’écriture. Ça a changé beaucoup de choses pour moi de commencer à écrire. Je me sens mieux depuis que je fais ça. Je m’emmerde moins.
« Avec Jeffrey Eugenides. Depuis la lecture de Sur la route de Kerouac, quand j’avais 17 ans, j’ai une passion démesurée pour les auteurs américains. »
C’est un rêve que tu caressais de longue date, de sortir des romans ?
Non, quand j’ai commencé à écrire le premier, c’était vraiment pour moi, pas pour que ce soit publié. Je ne l’ai envoyé nulle part.
Tu valorises souvent la figure du père dans ce que tu écris. Ton père et toi en tant que père...
Mon père était cheminot, grâce à lui j’avais des tickets SNCB gratuits, et encore aujourd’hui, j’adore prendre le train. Si j’aime aller à Paris, c’est aussi parce que je me sens terriblement bien dans un Thalys. Je passerais la journée dans le train... la semaine, en fait. Je le dois à mon père. On me fait souvent parler de mon père en interview, parce que dans Éviter les péages, il y a un père. Mort. Comme le mien. Et c’est exotique, un père mort. Alors que c’est l’aventure la plus banale qui puisse nous arriver. Ça vaut mieux de perdre son père dans la vie, hein, ça veut dire que la nature a un certain sens de l’ordre des choses. Mais moi, j’en parle parce qu’il est mort jeune, mon père, il est mort à 59 ans et ce n’est pas un âge raisonnable. Et puis, depuis que je suis tout gamin, la peur de mourir m’habite.
Parce que tu as été confronté à la mort, quand tu étais enfant ?
Ma mère, c’est une mère italienne, tu vois (rire), et là-bas, on s’occupe des gens quand ils en ont besoin. Elle a rapatrié mes deux grands-pères à la maison pour qu’ils meurent chez moi. Je sais que ça m’a traumatisé.
« Avec Marina Abramovic. L’artiste totale. Un point c’est tout. L’une de mes plus belles rencontres.»
C’est la mort qui t’a traumatisé, ou la souffrance, la vieillesse ?
Hum... c’est assez intime. C’est la déchéance, le corps qui se décharne, les mots qui deviennent de plus en plus rares... C’est ce lit qui reste dans la maison, cette pièce à côté de ma chambre dans laquelle deux personnes sont mortes. Mais je pense que ce qui m’a le plus heurté, c’est que mes grands-pères soient tous les deux morts pendant la nuit. Le soir, je leur ai dit au revoir, je suis allé me coucher et quand je me suis levé le matin, il n’y avait plus rien, ils avaient disparu. Sans doute pour nous protéger, mon frère et moi, ma mère les avait « enlevés ». La mort, pour moi, c’est cette absence. Énorme.
Tu as une phrase qui dit, dans Éviter les péages, à propos de la mort du père : « Ce n’est pas son absence qui me tue. Mais le fait que ce soit pour toujours. »
Moi, les « pour toujours », dans la vie, ça ne m’intéresse pas. En amour, par exemple, la promesse de « pour toujours », non.
Ce qui est paradoxal, parce que tu as pris des engagements très jeune.
Ah non, je n’ai pas pris d’engagement !
« Avec ma fille de dos. Un voyage récent à Rome avec elle. Exactement l’idée que je me fais du paradis. »
Tu as été père très jeune, qu’y a-t-il de plus engageant comme engagement ?
Effectivement... tu as raison. Le seul engagement pour toujours, c’est les enfants. Mais en fait, je n’ai pas pensé avoir des enfants, on n’a jamais eu cette discussion avec Colette. On les a eus et puis c’est tout. Un matin, je m’en souviens très bien (rire), elle est entrée dans notre chambre et elle m’a dit : « Je suis enceinte. » On n’en avait jamais parlé avant, et pourtant j’étais le plus heureux des hommes. Dans le genre impro, on a aussi décidé d’habiter ensemble sur un quai de gare... On attendait le train. On avait 20, 21 ans, on était ensemble depuis trois mois. De son côté, elle avait un appart qu’elle n’arrivait plus à payer, moi je n’avais toujours pas de kot, et on s’est dit pourquoi pas, allons-y, si ça marche pas, eh bien ça marche pas, c’est tout. C’est pas ce qu’il y a de plus romantique, mais c’est comme ça que ça a commencé, et bah, regarde, 23 ans plus tard, on est toujours en service !
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