De la chirurgie au prêt à porter: les 1001 vies de Thierry Janssen
Certains le prennent pour un doux illuminé, d’autres ne jurent que par ses ouvrages, son enseignement, ses séances de méditation en ligne qui ont réuni des milliers de personnes pendant la Covid. Thierry Janssen a eu mille vies avant de trouver la sienne. Sur son CV, rien n’a l’air d’avoir de sens. Et pourtant, tout est cohérent. Par Florence Hainaut. Photos : Laetizia Bazzoni.
Qui est Thierry Janssen?
Imaginez : un alien arrive sur Terre et vous demande de décrire votre métier, vous lui dites quoi ?
Je suis un guérisseur et pour guérir, j’apprends aux gens à ouvrir leur cœur. J’espère qu’il comprendrait… En tant que chirurgien, j’ai essayé de soigner les gens mécaniquement. Mais dès que j’ai quitté ce métier, j’ai compris que pour guérir, ou plutôt pour permettre à autrui de guérir, il faut ouvrir son cœur.
Justement, reprenons le fil de votre carrière. Vous êtes donc chirurgien, puis un jour, vous envoyez tout valdinguer.
C’était le 5 janvier 1998. De mes 18 à mes 33 ans, j’ai bossé comme un malade. Ma spécialité, c’est la chirurgie urologique. J’ai été formé à l’UCL et engagé à l’ULB, je suis devenu résident à l’hôpital Erasme. Cinq ans plus tard, j’ai senti que je n’étais pas heureux dans cette activité, principalement à cause de la pression que je m’étais mise pour gravir les échelons du parcours académique. À l’époque, je n’avais pas encore entamé un travail sur moi-même, donc j’ai blâmé le monde extérieur. J’ai cru que l’herbe serait plus verte ailleurs et j’ai été engagé à Bordet. On en revient au 5 janvier 1998. C’est le jour où j’ai pris mes fonctions à Bordet. Et le jour où j’ai arrêté.
C’est-à-dire ?
En allant travailler ce jour-là, j’étais manifestement très stressé, j’avais de l’eczéma et des conjonctivites à répétition. Ce matin-là, la dame qui devenait ma secrétaire me parlait et je ne comprenais rien, comme si elle parlait une langue étrangère. Je suis entré dans mon nouveau bureau, j’ai entendu une voix qui m’a dit : « Si tu restes ici, tu vas mourir. » J’ai pris une feuille de papier, j’ai écrit ma lettre de démission et je suis parti.
Alors que j’avais quitté l’hôpital, une amie m’a appris que la marque Emporio Armani cherchait un directeur pour Paris. Là, c’était une évidence : c’était pour moi. Ce qui était complètement saugrenu, parce que je n’avais pas un grand intérêt pour la mode, je vivais en pyjama vert et en sabots de bloc opératoire depuis dix ans. Mais j’étais convaincu que je devais faire ça.
Et là, très logiquement, vous devenez directeur de la marque de luxe Emporio Armani à Paris…
C’est tout bête, mais magique. Quelques mois avant de mettre un terme à ma carrière chirurgicale, j’avais accompagné un monsieur dans sa fin de vie et il m’avait laissé un cadeau, L’Alchimiste de Paulo Coelho. Sur le livre, un bandeau disait : « La vie est généreuse pour celui qui vit sa légende personnelle. » Je n’ai toujours pas lu ce livre, mais cette phrase a eu un effet immense sur moi. Le 5 janvier 1998, je suis revenu dans ma légende personnelle. Alors que j’avais quitté l’hôpital, une amie m’a appris que la marque Emporio Armani cherchait un directeur pour Paris. Là, c’était une évidence : c’était pour moi. Ce qui était complètement saugrenu, parce que je n’avais pas un grand intérêt pour la mode, je vivais en pyjama vert et en sabots de bloc opératoire depuis dix ans. Mais j’étais convaincu que je devais faire ça. Avec le recul, je pense que c’était parce que Paris me fascinait et que ce poste était suffisamment brillant pour effacer ce que certains estimaient être un échec.
J’ai envoyé ma lettre de motivation en disant qu’ils allaient probablement me prendre pour un fou. Quelques semaines après, le PDG de la société Armani m’a dit : « Moi, je suis fou et je veux vous engager. » Ils m’ont envoyé à Londres pour me former et quelques semaines plus tard, j’avais mon bureau place Vendôme et une toute nouvelle vie, avec des actrices de cinéma qui venaient dîner chez moi. Cela a duré neuf mois. Puis j’ai été licencié ! Quand j’ai reçu mes indemnités, j’ai choisi de prendre du temps pour comprendre ce qui se passait dans ma vie. Un an après, je publiais mon premier essai.
C’est après ça que vous avez ouvert votre consultation de psychospiritualité.
Avec mon diplôme de médecin, légalement, je pouvais pratiquer la psychothérapie, ce qui en soi est aberrant. C’est la raison pour laquelle je me suis formé. Mais pour moi, les approches psychologiques devraient être associées à une démarche spirituelle. De la même façon que toute démarche spirituelle devrait être associée à un profond travail psychologique. Sans cela, la psychologie peut devenir très narcissique et égotique, et la spiritualité peut être utilisée pour nourrir les névroses de la personnalité.
Allier la psychologie et la spiritualité nous permet de nous connaître, de nous accepter, de guérir nos parts d’ombre et de nous mettre au service de quelque chose de plus grand que nous, ce quelque chose que certains appellent Dieu et que je préfère appeler la Vie.
On le voit notamment dans les scandales sexuels qui se produisent dans des communautés religieuses. Allier la psychologie et la spiritualité nous permet de nous connaître, de nous accepter, de guérir nos parts d’ombre et de nous mettre au service de quelque chose de plus grand que nous, ce quelque chose que certains appellent Dieu et que je préfère appeler la Vie.
On continue votre parcours…
En 2009, je suis tombé malade, j’étais épuisé. J’avais publié un ouvrage qui comptait beaucoup pour moi, dont le titre, ironie du sort, était La Maladie a-t-elle un sens ? et dans l’espoir que beaucoup de gens le lisent, j’avais accepté de donner beaucoup de conférences (plus de deux cents en un an dans huit pays différents). C’était mon ego qui m’avait entraîné dans cette folie. Lorsque je me suis demandé ce qui se passerait dans ma vie si c’était plutôt mon essence profonde, mon âme, qui était aux commandes, je suis parti vivre six mois en Égypte. J’y ai écrit un ouvrage très personnel, Confidence d’un homme en quête de cohérence. Ce livre est paru l’année de mes 50 ans. J’ai alors éprouvé le besoin de me retirer pour écouter le silence à l’intérieur de moi.
Et vous vous effondrez à nouveau…
Non, ce n’était pas un effondrement. J’ai voulu ce retrait pour me préparer à ouvrir une école afin de continuer à transmettre sans voyager autant. Je voulais écrire un livre sur le silence intérieur, mais je n’y parvenais pas car mon mental cherchait à expliquer des choses alors que mon cœur voulait simplement les partager. Ce combat intérieur m’a plongé dans ce que beaucoup auraient appelé une dépression. J’ai alors vécu ce que j’appelle « une nuit noire de l’âme », une expérience très douloureuse où la personnalité ne veut pas lâcher et où l’âme souffre. Mon expérience de la méditation m’a fait faire le choix de contempler mon mal-être et d’attendre que ma personnalité abdique. Ça a fini par arriver.
Et vous faites enfin ce qui vous trottait dans la tête depuis des années… Enseigner. Et pas n’importe quoi, mais ce que vous appelez « la Posture juste ».
Transmettre, enseigner est ce qui me rend le plus joyeux. La « Posture juste », pour moi, est l’attitude physique et psychologique qui permet de s’adapter aux circonstances de l’existence en respectant et en favorisant le mieux possible la Vie qui est en nous et autour de nous. J’ai ouvert l’École de la Posture juste en 2015.
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