« Le jour où je suis devenu(e) féministe »: ils et elles racontent

La Journée internationale des droits des femmes nous rappelle que l’égalité hommes-femmes reste un combat à mener. La justesse de la cause fait quasi l’unanimité, mais comment décide-t-on d’aller un cran plus loin et d’en faire un cheval de bataille ? D’après un article de Florence Hainaut. Photos cover: (c) Liesbet Peremans, Géraldine Jacques, Denis Lomme.

D’impliqué.e à militant.e

Féministe. Pendant longtemps, ce mot a été une insulte. Au 19e siècle, il désignait grosso modo les hommes qui situaient les femmes au-dessus de l’amibe sur l’échelle de l’évolution. Ceux qui pensaient que ça ne serait pas si mal, au fond, si on leur accordait quelques droits de base. Les mignonnets ! Ils étaient perçus comme faibles, peu virils. Féminins, somme toute. Ils étaient féministes. Comme dans tant d’autres infamies, le mot a été récupéré par les personnes insultées pour définir une lutte, avec fierté.

Mais il est aujourd’hui encore utilisé de manière péjorative, et pour des raisons qui nous échappent un peu. Parce que ça n’est quand même pas honteux ou ridicule de prôner l’égalité entre l’homme et la femme et l’extension du rôle de la femme dans la société (selon la définition du Petit Robert). Pourtant, beaucoup de femmes rechignent à utiliser cette étiquette. Il faut dire qu’elles auront généralement plus de chances de ne pas transformer les fêtes d’entreprise en pugilat si elles se déclarent « humanistes plutôt que féministes ».

Ce mot est pourtant superbe, galvanisant, teinté d’une histoire faite par des femmes hors du commun. Nos témoins, hommes et femmes, se revendiquent féministes. Et expliquent quand c’est devenu une évidence.

LAURENCE BIBOT, COMÉDIENNE

« Ça s’est fait en plusieurs temps. Je suis fille de féministe, ma maman travaillait dans un centre semi-clandestin qui pratiquait l’avortement, je l’accompagnais aux manifs. Je vivais ça comme une évidence. En étant jeune adulte, je ne me revendiquais pas spécialement féministe puisque j’avais la sensation que la génération d’avant avait fait le travail. Ça n’est vraiment que très récemment, en assistant à une expo photo sur les centres d’avortement dans le monde entier, que je me suis dit : “Mais évidemment, tu es féministe !” Certes, un certain nombre de combats ont été gagnés, mais dès qu’on se penche sur la question ou qu’on regarde un tout petit peu plus loin que chez nous, c’est déplorable. Alors il faut l’être et le revendiquer, et c’est une attention de tous les jours. Et si tu ne le fais pas pour toi, fais-le pour les autres. »

CARLO DE PASCALE, CHEF ET CHRONIQUEUR

« Je ne me souviens pas d’un jour précis où je suis devenu féministe. Mais ça a dû commencer quand j’ai justement arrêté de me dire : “Je suis féministe”, pour accepter que mon “féminisme” l’était peut-être pour moi, mais pas forcément pour les principales intéressées. Et même si j’ai encore un peu de mal à comprendre, accepter et a fortiori reprendre à mon compte les nuances des théories intersectionnelles et la multiplicité des façons de subir la domination, j’ai l’impression d’être devenu plus féministe le jour où j’ai compris qu’il ne suffisait pas de le décider, qu’il fallait “tendre vers” un féminisme et que je ne pouvais le décréter moi-même. J’ai une chance unique, j’ai grandi dans une famille avec une mère totalement indépendante financièrement, et j’ai quatre filles, dont trois sont carrément militantes de tout ce qui peut être milité. Forcément, dans un tel environnement, j’ai appris, en plusieurs jours, à être plus féministe, tout en sachant que je ne l’étais pas encore. »

FLORENCE MENDEZ, HUMORISTE

« J’ai embrassé l’idée du féminisme dès l’enfance, avec des modèles de femmes fortes, d’Anne Frank à Élisabeth Ire en passant par Lara Croft. C’est néanmoins très tard que j’ai pris conscience des biais qui étaient les miens et de mes propres raisonnements sexistes. Lorsque je me suis lancée dans l’humour, j’ai longtemps cru que les hommes étaient forcément plus drôles que les femmes et que je ne pourrais jamais égaler mes collègues masculins. Un accident de vie, un très long travail sur moi-même, de bonnes lectures et de nombreuses rencontres avec d’autres femmes m’ont permis de vivre activement mon féminisme, que ce soit d’un point de vue personnel ou professionnel. »

 

LAURENT DE SUTTER, PHILOSOPHE

« J’ai toujours été féministe, parce que j’ai toujours été pour l’égalité absolue, sans réserve et sur tous les plans, de tous les êtres humains. Le féminisme ayant toutefois une histoire complexe, divisée en mouvements parfois antagonistes, je me sens plus proches de certains que d’autres. Dès la fin des années 1990, les féministes que je lisais étaient les féministes queer et pro-sexe, de Judith Butler à Camille Paglia. Elles restent des autrices de chevet. »

 

ISABELLE GRIPPA, DIRECTRICE DE HUB.BRUSSELS, L’AGENCE BRUXELLOISE POUR L’ACCOMPAGNEMENT DE L’ENTREPRISE

« Mon engagement féministe est très lié à mon parcours personnel. Mon premier conjoint était violent et très macho, je vivais sous son joug. Je n’avais pas le droit d’avoir des amis, j’avais juste le droit d’étudier. Puis j’ai décroché mon premier job. Grâce aux relations sociales que j’avais désormais, et au soutien que ça représentait, j’ai trouvé la force de partir. Je gagnais 1 500 euros, j’avais deux enfants en bas âge, mais j’étais libre et ça n’avait pas de prix, c’était un sentiment indescriptible d’euphorie. Je me suis dit que plus jamais un homme ne me dirait ce que je dois faire. J’ai beaucoup lu, dont Simone de Beauvoir. Je me suis rendu compte à quel point j’avais été formatée, mais aussi que j’avais la possibilité de m’en libérer. Je pense que l’isolement t’empêche de savoir qui tu es. Je me suis fait un tas de copines, je me suis engagée auprès des Femmes prévoyantes socialistes, entre autres sur la question de l’avortement. Aujourd’hui je ne milite plus autant parce que j’ai moins de temps, mais j’essaie d’appliquer ces principes à ma fonction. Je travaille dans le milieu économique, qui est très masculin de base. J’ai dû et je dois encore y gagner ma place. Ma motivation, en tant que directrice de hub.brussels, c’est entre autres de montrer aux femmes que les portes de l’entrepreunariat leurs sont grandes ouvertes, que c’est un moyen d’émancipation et que nous pouvons les aider. »

Découvrez cet article en intégralité dans le GAEL de mars, disponible en librairie.

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