Virginie Efira: « À plus de 40 ans, je peux jouer avec l’érotique-comique »
Le réalisateur culte Paul Verhoeven ne voulait personne d’autre que l’actrice chérie de la Belgique pour son dernier film. Charnelle et sulfureuse Benedetta, elle pousse le curseur et se libère de ses peurs et de ses gênes. Par Juliette Goudot.
Le jeu et la chair
Elle n’en revient toujours pas d’avoir été choisie pour incarner la nouvelle héroïne de Paul Verhoeven, réalisateur iconoclaste de RoboCop et Basic Instinct et plus récemment d’Elle (2017). À 83 ans, le cinéaste hollandais culte ne tarit pas d’éloges sur l’actrice. « Lorsque j’ai découvert l’histoire de Benedetta, je n’ai jamais eu une autre actrice en tête pour jouer le rôle, c’était elle, depuis le départ », nous a-t-il confié au téléphone depuis Los Angeles un soir d’août.
L’enfant chérie de la Belgique (qui vit désormais à Paris) interprète donc Benedetta, nonne lesbienne et faiseuse de miracle dans l’Italie puritaine du 17 siècle. Un rôle extrême qu’on peut voir comme une farce érotico-gore où Efira déploie son charme voluptueux et qu’elle a envisagé comme un questionnement sur la place du corps des femmes dans la société. Corsetée sous la collerette de Benedetta Carlini (d’après l’histoire vraie d’une moniale qui fut condamnée pour lesbianisme après avoir instrumentalisé ses visions mystiques dans un monastère florentin et dont le procès est raconté dans le livre de la chercheuse américaine Judith C. Brown qui a servi de base au scénario), Virginie Efira enchaîne visions saphiques, stigmates christiques et orgasmes cataclysmiques face à Daphné Patakia (magnifique sœur Bartoloméa) et Charlotte Rampling, sans que l’on sache jamais si elle est manipulatrice ou non.
L’interview de Virginie Efira
Qu’est-ce qui vous a attirée dans le cinéma de Paul Verhoeven ?
J’ai toujours été dingue de ses films. Comme beaucoup, j’ai d’abord vu Basic Instinct, puis j’ai découvert ses films américains et ses films hollandais. J’adore Turkish Délices, Black Book et Showgirls, bien sûr. Pour moi, Verhoeven est l’un des plus grands réalisateurs vivants, j’aime son audace et j’ai trouvé ce scénario fou. Encore plus que les scènes de sexe, qui ne me gênent pas — car on ne peut pas dire que je sois envahie par le puritanisme —, j’ai trouvé le mélange du drôle et du profond très rare. Verhoeven est un homme qui vous donne envie de penser que la vieillesse va être chouette. L’âge et l’expérience lui permettent d’avoir confiance en lui et en l’autre. C’est quelqu’un qui vous investit, et la confiance est un cercle vertueux.
Le film joue avec les fantasmes sexuels de manière comique — l’un des objets fétiches du film est un godemiché en forme de Vierge Marie —, vous n’aviez pas peur d’aller trop loin ?
Verhoeven regarde la sexualité dans l’excès, et ça, j’adore. À plus de 40 ans, je peux jouer avec l’érotique-comique. J’ai décidé d’aborder le film sans psychologiser. Quand il me demandait de jouer l’orgasme plus fort, je me disais qu’à la fin, j’allais frétiller comme un dauphin, mais j’y allais. Il aime ce qui frôle la farce et le mauvais goût, et ça me plaît aussi. Mais le film véhicule aussi des choses très profondes sur la croyance, sur le fait d’assumer son désir. Il pose une question essentielle, qui reste très contemporaine, sur la place du corps des femmes. On dit à Benedetta depuis toute petite que son corps est son pire ennemi. Le film montre comment elle se reconstruit et se réapproprie son corps, sans esprit de sérieux.
Est-ce libérateur de jouer ainsi sur les extrêmes ?
Je crois que l’acteur aime être choisi. Quand vous êtes choisie comme Verhoeven m’a choisie, ça vous nourrit. Ça vous permet d’enlever toutes vos peurs au moment de jouer. Ça vous donne la liberté de ne pas penser à votre image. Lorsque je dois jouer ces scènes, je ne peux plus me permettre de me poser la question.
Comment vous êtes-vous préparée à ce rôle ? Avez-vous fait des lectures sur les femmes possédées ?
Tout d’abord, le texte était très bien écrit, avec une langue très classique, même si Verhoeven avait envie d’une interprétation moderne, presque anachronique. Ensuite, j’ai bien sûr lu le livre de Judith C. Brown, ainsi que certaines mystiques comme Hildegarde de Bingen, qui illumina le 12e siècle germanique. Mais l’histoire de Benedetta Carlini arrive au moment où l’Église se méfie des mystiques. Rivette (réalisateur de La Religieuse, qui, à sa sortie en 1966, avait fait scandale, NDLR) était passionnant, mais n’a pas grand-chose à voir avec Benedetta. Je me suis aussi tournée vers des films comme Les Diables avec Vanessa Redgrave (1971, inspiré de l’affaire des démons de Loudun dans le 17e siècle français, NDLR), qui traite de la possession et des préjugés sur la sexualité à l’époque. Et puis pour la première fois, j’ai travaillé avec un professeur — je préfère ce mot à « coach ». On se plongeait dans le scénario comme dans un parchemin et on essayait de faire surgir des images mentales. Notamment pour la scène de mort et de résurrection. Ou lorsque Benedetta crie : « Blasphème, blasphème ! », je pensais à certains hommes politiques qui perdent leurs valeurs avec le pouvoir, car Benedetta est aussi une stratège. Sa pathologie — elle est certainement schizophrène — et l’ivresse du pouvoir lui donnent une espèce de surpuissance comique. J’ai travaillé sur le premier degré de la croyance et Verhoeven filmait le second degré.
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