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Disputes, trésors cachés: le quotidien secret des agents immobiliers

Laura Swysen

Querelles familiales, secrets d’alcôve, addicts à la brique... Les agents immobiliers doivent souvent troquer leur costume de commercial pour celui de psy ou de confident.

Les amoureux de déco n’ont jamais été aussi captivés par le petit écran. L’après-midi, on chasse les trésors immobiliers avec Stéphane Plaza, le soir, on bave devant les biens exceptionnels présentés par l’agence de la famille Kretz ou on rêve d’une villa de luxe à Los Angeles en matant Selling Sunset sur Netflix. En seulement quelques années, les Belges sont devenus accros aux émissions immo. « Les gens adorent découvrir l’intérieur des maisons des autres », explique Charlotte Van Roy d’Immodôme, une agence spécialisée dans les maisons qui ont un « petit » quelque chose en plus (cadre exceptionnel, signature d’architecte ou perle historique). « Les programmes immo surfent sur ce plaisir coupable. On veut savoir ce qui se cache derrière les façades.»

Les pépites des agents

Les propriétés que nous voyons à la télévision nous font rêver. Les agents immobiliers se régalent, eux aussi, lorsqu’ils ont l’occasion de vendre des biens exceptionnels. « Une des ventes qui m’a le plus marquée était une maison d’architecte signée Jules Lippens, se souvient Charlotte Van Roy. Elle avait été construite en 1913. L’intérieur et l’extérieur étaient classés et devaient être entièrement préservés. Tout était exactement comme en 1913. Même le mobilier, fabriqué par l’architecte, était resté intact. C’était comme pénétrer dans un musée. »

Les acheteurs qui recherchent des perles de ce gabarit sont rares, mais l’agent sait que ces biens plus « niche » rencontrent toujours leur public.

Marick Schippers, de l’agence Engel & Völkers de Waterloo, se souvient lui aussi d’un trésor situé dans la char- mante commune de Braine- l’Alleud : « Il y a quatre ans, nous avons mis en vente une superbe ferme en carré datant de 1800 située sur le chemin Broctiaux, la ferme Tout-lui-Faut. La situation était exceptionnelle : un terrain de 65 000 m2, dont 800 m2 de surfaces utiles au sol, niché sur les hauteurs, à deux pas du bois de Hal. On ne croise pas souvent un tel bâtiment, c’était la seule ferme de ce genre dans la région, je pense. Elle était classée et devait être entièrement rénovée. Tous les travaux entrepris devaient donc être validés par les responsables du patrimoine. Les gens pouvaient faire une offre à partir de 700 000 €. Nous avons eu peu d’offres, mais les personnes qui nous ont contactés attendaient qu’un tel bien soit mis sur le marché. Elle a finalement été vendue 300 000 € au-dessus du prix demandé. Nous avons rencontré des personnes passionnées qui analysaient chaque détail. Quel plaisir de les voir s’enthousiasmer sur la beauté de la charpente et de les entendre discuter des travaux qu’ils allaient effectuer en vue de lui redonner son cachet d’antan ! »

Les acheteurs qui recherchent des perles de ce gabarit sont rares, mais l’agent sait que ces biens plus « niche » rencontrent toujours leur public. « 20 % des clients cherchent un bien plus atypique, comme une mai- son de maître, une ferme à rénover. Il s’agit d’un produit moins présent sur le marché et le jour où ce genre de biens est en vente, il part relativement vite, car les acheteurs sont prêts et se positionnent généralement rapidement. »

Ascenseur émotionnel

Mais ce sont surtout les histoires humaines qui marquent les agents immobiliers. À la télévision comme lors d’une vente réelle, les émotions sont généralement au rendez-vous. « Acheter une maison, c’est bien plus qu’acquérir un tas de briques et de mortier, explique Hadisa Suleyman, de l’agence Estate Of Mind. C’est un chapitre que l’on ferme ou que l’on ouvre. En tant qu’agent immobilier, on entend beaucoup de choses, et c’est ce qui rend ce métier si intéressant. Il s’agit parfois de divorces, parfois de personnes âgées qui ferment un chapitre de leur vie et qui sont très émotives à l’idée de voir cette page se tourner définitivement. Les clients se livrent souvent à moi. J’écoute, sans porter de jugement. Il est souvent question d’argent. Certes, l’argent offre une certaine liberté : il permet de s’acheter beaucoup de belles choses, mais pas le bonheur. Je l’ai constaté à maintes reprises. Croyez- moi, vous ne voulez pas savoir ce qu’il se passe derrière les portes des plus fortunés... Avoir une belle maison ne vous apporte pas grand-chose si vous n’avez plus de famille avec qui la partager. »

Agent et psy

« Parfois, on joue un peu le rôle de psychologue, reconnaît Charlotte De Roy. On prête une oreille attentive, on devient le confident de nos clients. C’est une facette de notre métier que beaucoup de gens ignorent. » Marick Schippers va dans le même sens : « 60 à 70 % de notre métier concerne l’humain. Il faut être à l’écoute de nos clients, comprendre leur projet et cerner leurs attentes. » Dans certains cas extraordinaires, de puissants liens se forment entre les clients et l’agent.

« Un jour, une femme est venue à l’agence afin de se renseigner sur un appartement, raconte Heleen Janssens d’ERA Janssens & Janssens. Son mari était mort à l’étranger d’une façon très soudaine. Ils n’avaient pas d’enfants. Maintenant qu’elle vivait seule, elle voulait troquer sa maison contre un appartement. Son directeur de banque lui avait fait une offre pour la propriété, mais elle était scandaleusement basse. Je lui ai proposé de venir jeter un coup d’œil et j’ai finalement réussi à vendre la maison à un prix bien plus élevé. Parallèlement, nous avons aussi trouvé l’appartement de ses rêves. Je ne faisais que mon travail, mais pour elle, cela signifiait bien plus : “Vous m’avez aidée à traverser cette période difficile”, m’a-t-elle confié par la suite »

Le beau au bois dormant

Les petites anecdotes cocasses, elles, ne manquent pas quand on travaille dans l’immobilier. Certaines ventes restent ancrées dans les mémoires à cause de leur prix, d’autres à cause d’événements insolites. Serge Claes se souvient d’un occupant incongru : « Un jour, j’ai trouvé un ouvrier du bâtiment endormi dans un logement en construction. Il faisait une petite sieste. » Heleen Janssens a, elle, surpris un autre genre de dormeur pendant l’une de ses visites : « Je devais estimer une maison. Les vendeurs avaient demandé que les visites ne se fassent que l’après-midi, car ils travail- laient dans la restauration. Quand j’ai sonné à la porte, le mari m’a dit que sa femme dormait encore. Mais il m’a assuré que ce n’était “pas un problème”. J’ai voulu zapper la chambre à coucher, mais il a insisté. Sa femme était nue comme un ver. “Nous n’allons pas faire de photo de cette pièce”, ai-je glissé en riant. »

Les risques du métier

Il va sans dire que les agents immobiliers ne vendent pas que de belles maisons et ne rencontrent pas que de belles personnes. Maisons ravagées par les intempéries ou croulant sous les immondices font aussi partie de leur quotidien. Heleen Janssens se souvient de sa visite la plus bizarre : « Je devais estimer une maison. Le vendeur m’a demandé si je pouvais venir le chercher en voiture. Cela m’arrive souvent avec des personnes âgées qui ont du mal à se déplacer. Cette fois-ci, il s’agissait d’un jeune homme. Je me suis dit qu’il faisait peut-être l’objet d’un retrait de permis. Je suis passée le prendre chez lui et nous nous sommes rendus ensemble dans la maison que je devais estimer. J’ai tout de suite reconnu la propriété ! Elle était récemment apparue dans un reportage télévisé parce qu’on y avait découvert... une plantation de cannabis. Je suppose que c’est pour cette raison qu’il ne voulait pas être vu sur les lieux avec sa propre voiture... »

Nous étions tous assis autour de la table et l’atmosphère devenait de plus en plus pesante. À un moment, l’un des frères s’est tellement énervé qu’il s’en est pris physiquement à sa sœur assise de l’autre côté de la table. Je me suis interposée entre les deux, et j’ai évité une gifle de justesse.

En trente ans de métier, Heleen Janssens en a vu de toutes les couleurs. Elle a même failli être giflée lors d’une querelle familiale : « La famille était divisée en deux camps. Quatre frères et sœurs se déchiraient à propos de l’avenir de la maison parentale après le décès de leurs parents. Nous étions tous assis autour de la table et l’atmosphère devenait de plus en plus pesante. À un moment, l’un des frères s’est tellement énervé qu’il s’en est pris physiquement à sa sœur assise de l’autre côté de la table. Je me suis interposée entre les deux, et j’ai évité une gifle de justesse. Sa paume a effleuré mon nez. J’ai clôturé la discussion en disant que je reviendrais quand les esprits se seraient calmés. Une fois la vente terminée, l’homme en question m’a invitée à dîner pour s’excuser. Il m’a dit qu’il était, d’ha- bitude, un homme très calme, mais qu’il avait été poussé à bout et qu’il avait perdu son sang-froid. J’ai accepté son invitation et j’ai finalement pas- sé un très agréable moment. Apparemment, le conflit couvait depuis des années. J’ai moi-même un frère, et avec ce que je vois dans mon boulot, j’ai d’ores et déjà anticipé la question : il est hors de question qu’on se dispute pour de l’argent. »

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