Le Japon autrement: Nakasendo, le temps entre parenthèses
La plus belle région du Japon est un sentier de randonnée reliant Kyoto et Tokyo. Un itinéraire dédié à la nature, l’authenticité et la découverte d’une époque lointaine. PAR ELS KEYMEULEN, AVEC LA COLLABORATION DE PHILIPPE VENETTO. PHOTOS : RUTGER BECKERS.
Des grattes-ciel aux sentiers perdus
Mon homme a le goût de l’aventure. Heureusement. Sans lui, je n’aurais jamais découvert le sentier de Nakasendo, qui traverse une splendide partie du Japon authentique où le temps s’est arrêté, comme si l’agitation frénétique des grandes villes nippones était à des années-lumière.
« J’ai vu une émission de Joanna Lumley au Japon, m’a dit un jour mon compagnon pendant le dîner. Elle a suivi le sentier de Nakasendo, une randonnée pédestre entre Kyoto et Tokyo. Il faut absolument qu’on le fasse. » Je suis du genre à émettre d’emblée des objections : « Il est long comment, ton sentier ? Nous ne partons qu’une semaine ! Nous aurons déjà à peine le temps de voir Tokyo ! Et je n’ai pas de chaussures de marche... » Mais j’ai accepté et j’ose l’avouer : ce fut le plus beau voyage de ma vie. Malgré les grosses chaussures. Mais pour deux journées de marche seulement, avec donc le temps d’aller à Disneyland Tokyo.
« Nous parcourrons bientôt un tout petit tronçon de ce chemin, mais c’est assez pour se faire une idée de la beauté de ce pays si particulier. »
Le chemin de Nakasendo — « la route à travers les montagnes » — a été tracé au Japon pendant la période Edo (1600-1886). Le pays vivait alors sous le régime dictatorial du shogun et de son samurai ; une des nombreuses lois interdisait toute forme de circulation, sauf la marche. Cette époque a donc vu naître un système inventif d’itinéraires pédestres entre les grandes villes. Nakasendo était l’un d’entre eux. Quelque 435 km séparent Tokyo — déjà la capitale politique du pays — et Kyoto — siège du palais impérial. Les parcourir nécessitait donc de nombreux jours de marche et, tout naturellement, se sont créés des villages-relais pour pouvoir se restaurer, passer la nuit et effectuer de menus achats. C’est précisément cette route que les touristes redécouvrent aujourd’hui — en petits groupes, rassurez-vous — et qui révèle le véritable Japon. Des traditionnels « tipis » nippons qui servent des mets dont aucun ingrédient ne peut être identifié jusqu’aux ryokans, où l’on dort sur le sol à côté d’une source d’eau chaude : voilà le Japon dans toute son authenticité. Nous parcourrons bientôt un tout petit tronçon de ce chemin — environ 20 km au total —, mais c’est assez pour se faire une idée de la beauté de ce pays si particulier.
DES TRAINS PAS COMME LES AUTRES
Le matin de notre deuxième journée au Japon, nous nous rendons à la gare de Tokyo, d’où le train Shinkansen nous conduira jusqu’à Kyoto. Nous redécouvrons les plaisirs du train (quel contraste avec notre SNCB nationale !) : ces TGV sont a) très ponctuels, b) très rapides et c) très propres. Le trajet Tokyo-Kyoto dure un peu plus de deux heures, un billet coûte environ 115 €, paysage sublime en prime. Nous apercevrons par exemple le mont Fuji. Mais il faut toujours réserver son siège (dans le Shinkansen, la plupart des wagons sont à réservation obligatoire, il n’y a que quelques wagons dédiés aux sièges sans réservation, NDLR). Au Japon, les règles sont coulées dans le béton. Pour le retour, nous oublierons de réserver une place et, malgré les nombreux sièges disponibles, nous ne pourrons pas embarquer. C’est là que la SNCB reprend l’avantage... À Kyoto, nous prenons deux petits trains, direction Nagiso, et ensuite un bus touristique bondé pour aller au point de départ de notre randonnée, Tsumago. Près de quatre heures de route tout de même, mais le paysage est splendide, nous voyons des montagnes, des cerfs et d’innombrables forêts de bambou. Mais surtout, les gratte-ciel se font de plus en plus rares, les maisons de plus en plus authentiques et la nature toujours plus sauvage.
BASIQUE ET MIRIFIQUE
La nuit tombe déjà quand nous descendons du bus sur une petite place désolée à Tsumago. Il fait froid (12 °C, contre 26 à Tokyo), nous sommes éreintés, affamés et un peu désorientés. Où sommes-nous ? Comment rejoindre notre hébergement ? Il faut le savoir : activer le wifi au Japon, c’est un peu comme brancher le ventilateur et ouvrir les fenêtres, cela ne mène à rien. Nous recourons donc aux cartes, au légendaire sens de l’orientation masculin, mais surtout à un Japonais du coin qui nous montre la direction de notre guest house. Nous prenons deux fois le mauvais chemin, nos enfants sont au bord des larmes et, au moment précis où je maudis le plan de « partir à l’aventure », nous arrivons devant la porte de Suzuki, le propriétaire d’un ryokan rikiki ne comptant que deux chambres d’hôtes. C’est l’hébergement japonais traditionnel : confort minimal, mais convivialité maximale.
La maisonnette en bois où nous séjournons semble sortir tout droit d’un parc d’attractions, avec des rideaux en papier, un chariot bâché en bois devant la porte et une façade éclairée par des lampions. L’intérieur est basique, mais d’une beauté exquise. Sur le sol en bambou de notre chambre sont posées des pantoufles à côté de minces matelas. Il n’y a ni armoire ni télé, mais une splendide estampe japonaise au mur. Seul problème pour les Occidentaux que nous sommes, la hauteur. On se cogne la tête tout le temps. Du moins celles et ceux qui mesurent plus de 1,60 mètre. « I don’t make food for guests », nous répond Suzuki quand nous lui demandons s’il est possible de se restaurer. « Everything is now closed. There’s no restaurant here. » Nous voilà prévenus pour la suite : sur le sentier de Nakasendo, il est très difficile de trouver à manger après le coucher du soleil. D’abord, il n’y a aucun restaurant en chemin. Ensuite, la moindre boutique ferme tôt. Certains ryokans proposent un repas du soir, mais il faut l’avoir réservé. Suzuki comprend cependant à nos mines dépitées qu’il ne peut pas nous laisser aller au lit sans avoir mangé. Il nous invite donc à partager son dîner. Après le repas, le maître des lieux nous propose une séance de karaoké, mais nous avons juste la force de nous glisser sous la couette...
MAISONS-MUSÉES ET CHATS SALUANTS
Nous prenons un bus surchargé pour Magome et, de là, nous retournerons à notre ryokan en passant par la vallée Kiso. Une balade de huit kilomètres nous attend, avec de petites ascensions et un pont et une forêt dense à traverser. Aucune difficulté majeure, mais une bonne marche tout de même. C’est, dit-on, le plus joli tronçon du sentier de Nakasendo. Nous débarquons donc à Magome, la 49e gare routière des 96 le long du chemin de Nakasendo. En 1843, 717 personnes y habitaient, dans 69 maisons en bois. Ces dernières ont toutes été restaurées en boutiques, ryokans ou musées. Le bus nous dépose sur une place où une énorme boutique à souvenirs, du genre piège à touristes, jure dans l’environnement. Nos regards se croisent : le grand cirque commercial ne va tout de même pas gâcher notre randonnée ! Cette crainte se dissipe dès que nous entrons dans Magome.
La reproduction d’un panneau de la période shogun nous indique les règles de cette époque. Une des interdictions visait le christianisme : toute personne repérant quelqu’un portant un habit « un peu trop catholique » devait le signaler aux autorités, récompense à la clé. La peine de mort sanctionnait toute violation des règles. Notre marche commence à peine que nous tombons sur un coffee bar hyper branché, Hillbilly Coffee Company. On peut y commander un toast et une salade de fruits. Ce sera en définitive le seul établissement de type occidental que nous rencontrerons sur notre route. Un peu plus loin, au-delà d’une vieille roue à aubes, le chemin commence à sinuer et à monter. La nature arbore déjà toutes ses belles couleurs automnales. L’air est frais, le ciel d’un bleu acier. Je dois me retenir de m’arrêter tous les trois mètres pour prendre une photo ou dans chaque boutique pour y acheter un superbe souvenir : des chapeaux en bambou, des baguettes sculptées, de vieux tonnelets de saké et de charmantes figurines.
« Deux yeux ne suffisent pas pour tout admirer. Heureusement, nous avons le temps. Il n’y a quasi personne derrière pour nous faire presser le pas. »
Les ruelles qui relient les villages sont tortueuses, étroites et splendides. Des maisonnettes en bois, décorées de bonsaïs, de fleurs et de fruits séchés et de chats saluant de la patte, côtoient de petites places où trônent des temples ou des statues qui ont subi les outrages du temps. Deux yeux ne suffisent pas pour tout admirer. Heureusement, nous avons le temps. Il n’y a quasi personne derrière pour nous faire presser le pas. L’atmosphère est si sereine que nous en devenons zen.
À mi-chemin environ, nous visitons le petit musée Toso Kinenkan, dédié à l’écrivain Shimazaki, le plus célèbre de Magome (1872-1943). En suivant la direction du temple Eishoji, on peut voir son tombeau. Nous grignotons des châtaignes grillées — une spécialité — et les meilleures brochettes de viande que nous ayons jamais dégustées. Une vieille femme les cuit spécialement pour nous et semble abasourdie que nous puissions en dévorer chacun plus de deux.
Tout le sentier de Nakasendo est un régal pour les instagrammeurs — mais il n’y a pas de wifi, et c’est tant mieux. Ici et là, une maison a été transformée en musée. Nous entrons dans l’ancien bureau de poste qui expose des lettres de jadis et abrite un jardin de mousse (qui rentre dans la catégorie des beaux-arts au Japon). Nous passons aussi devant le temple Kotokuji, qui date de 1500. Devant lui, un magnifique prunier, si beau qu’il en paraît presque irréel.
NAKASENDO EN PRATIQUE
• Un vol direct de Bruxelles à Tokyo dure environ 12 heures et vous pouvez réserver un vol aller-retour àpd 600 € environ, y compris sur All Nippon Airways. Nous avons voyagé avec
KLM — il y a des vols directs quotidiens de l’aéroport de Schiphol à l’aéroport Narita à Tokyo (billets àpd 655 €). WWW.ANA.CO.JP. WWW.KLM.COM.
• Nous avons voyagé en novembre. Pas de cerisiers en fleurs donc, mais de magnifiques couleurs automnales, beaucoup moins de touristes et des prix plus avantageux. En haute saison, il faut réserver les ryokans longtemps à l’avance. Sinon, ils affichent complet et impossible dès lors de suivre le sentier.
• Sur le sentier de Nakasendo, vous choisissez les tronçons et le nombre de jours de votre randonnée : de deux à cinq nuitées, seuls des ryokans sont disponibles. Ils offrent tous le même confort : de jolies chambres basiques sans salle de bain privative. WWW.JAPANESEGUESTHOUSES.COM.
• Il ne manque pas d’hébergements glamours à Tokyo et à Kyoto. L’Aman de Tokyo, en face de la gare, abrite le plus grand spa de la capitale. Les chambres sont d’une beauté exceptionnelle. WWW.AMAN.COM. À Kyoto, le Suiran est l’un des plus beaux endroits pour passer la nuit. L’hôtel ressemble à un ryokan traditionnel, avec un jardin intérieur, beaucoup de bambou et des baignoires typiques, mais d’un niveau cinq étoiles. WWW.MARRIOTT.COM/KYOTO.
• Commandez avant de partir un Japan Rail Pass Shinkansen pour la semaine pour éviter de faire la (longue) file à la gare. PAR EXEMPLE SUR VIVRELEJAPON.COM.
• Le wifi est quasi absent du sentier de Nakasendo ; s’il est indispensable pour vous, achetez ou louez au préalable un routeur wifi portable que vous pouvez utiliser comme hotspot.
Découvrez cet article en intégralité dans le GAEL de janvier, disponible en librairie.
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