Loïc Prigent : « Le chiffre d’affaires de la mode de luxe a explosé. »
Loïc Prigent, le journaliste star de la mode nous convie à un cours d’histoire égoïste de la mode dans un petit livre qui n’hésite pas à multiplier les points d’entrée pour nous permettre de mieux butiner ce sujet qui n’a pas fini de nous intéresser. Cette conversation en est la preuve. Par Nicky Depasse.
Rencontre avec Loïc Prigent le journaliste mode et documentariste français.
Entretien avec Loïc Prigent
Quel est le point commun entre la mode d’aujourd’hui et celle d’hier ?
Loïc Prigent: « La même frivolité. Ça n’a pas changé. Ou plutôt ça existait déjà. Cela a été une découverte pour moi en faisant ce livre de découvrir que le renouvellement rapide de la mode est un phénomène assez ancien. »
D’où vient votre goût pour la mode ?
Loïc Prigent: « C’est comme le goût du chocolat. Je ne peux pas vous expliquer pourquoi j’aime la mode. La création, le geste me fascinent. J’aime voir quelqu’un faire quelque chose que je ne comprends pas, que ce soit un artiste peintre ou un ébéniste. Il y a en plus dans la mode une immédiateté qui m’a toujours fasciné. »
A quand remonte le phénomène de la mode ?
Loïc Prigent: « L’idée initiale du livre était de raconter depuis les origines, quitte à remonter jusqu’à l’homme des cavernes, et de revenir à nos jours pour en faire une grande fresque. J’avais cette envie utopique de réaliser un ouvrage comme un historien de l’art mais je ne l’ai pas fait. Il faudra que je m’y mette et que je remonte jusqu’à Lucy. »
Elle avait un manteau de poils, ça, on le sait.
Loïc Prigent: « Elle avait sûrement des moyens pour se sentir plus belle. »
La crinoline dont Emile Zola parle dans certains de ses romans, a occupé une place importante dans la mode mais a provoqué des drames.
Loïc Prigent: « Oui, il y a cette anecdote dont on a beaucoup parlé, du château qui a pris feu à cause d’une crinoline posée trop près d’un feu ouvert. C’est révélateur de la mode qui ne s’adapte pas au monde ; c’est le monde qui doit s’adapter à la mode. Ainsi la crinoline a fait beaucoup pour l’industrie métallurgique car elle a développé la demande pour les pare-feu. On a ainsi dû adapter les châteaux mais aussi les carrosses car la mode, c’est “pousse-toi car je m’impose”. Elle ne vous donne pas le choix. »
Justement, quelle est la place de la mode dans notre société ?
Loïc Prigent: « A la fin du XIX° siècle, s’est mis en place un système médiatique qui fait que nous sommes toujours sollicités par des nouvelles images de mode. Cela signifie que la toilette que vous venez d’acheter est déjà caduque au moment où vous commencez à la porter car quelqu’un est déjà passé à autre chose. La mode crée une frustration, une éternelle insatisfaction. A moins que vous ne soyez un ascète ou une maîtresse du zen. »
A ce sujet vous parlez de la première influenceuse de l’Histoire.
Loïc Prigent: « Celle dont je parle dans mon livre, c’est Eugénie. Mais les historiennes me disent que c’est la Pompadour qui a été la première influenceuse car elle était suivie immédiatement par le tout Paris. La différence avec Eugénie, c’est qu’il existait vraiment un outil industriel au diapason et qui pouvait obéir, avec un empire colonial qui pouvait trouver tout ce dont on avait besoin pour reproduire le look du modèle : des pierres précieuses, des oiseaux exotiques, etc. »
Que pensez-vous des influenceurs (ses) sur les réseaux sociaux?
Loïc Prigent: « La grande différence avec les journalistes, c’est leur appétit carnivore de la mode. Leur appétit de porter des choses a créé une démocratisation des marques et de leurs codes. Dans les défilés, on est passé d’un premier rang peuplé de journalistes hyper experts qui savaient décrypter, apprécier, à une génération plus spontanée qui juge si elle a envie de porter ce qu’elle voit, ou pas. Cela a tout changé dans le chiffre d’affaires des maisons de couture. »
Croyez-vous que la mode a encore de beaux jours devant elle ?
Loïc Prigent: « En 2020, j’ai vraiment pensé qu’il allait y avoir un effondrement et c’est le contraire qui s’est produit : le chiffre d’affaires du luxe a explosé. Depuis que je suis le monde de la mode dans les années 90, les volumes ont été multipliés par cent. Et si dans les mois à venir, il venait à y avoir une chute, je ne suis pas inquiet. »
Vous écrivez : “en 1877, une robe tube fait son apparition. Resserrée jusqu’aux genoux, elle entrave la marche. On passe littéralement de la citrouille à l’asperge”. Ça m’a fait beaucoup rire.
Loïc Prigent: « Oui, mais c’est très beau. Karl Lagerfeld en avait dessinée une pour Chanel. La pauvre mannequin qui avait dû porter ça lors d’un très beau défilé en 2011, a mis deux fois plus de temps que les autres pour parcourir le catwalk avec de très petits pas mesurés. Mais cela lui donnait une apparence à la fois de fragilité et de détermination, avec des gestes très contrôlés et réfléchis. Tout-à-coup, la femme ressemble à une porcelaine. Est-ce une femme active ? Sans doute pas. Est-ce très beau à regarder ? Oui. Est-cela qu’on veut pour les femmes ? Non. »
Une question plus personnelle : avez-vous un vêtement doudou ?
Loïc Prigent: « Oui, j’en ai plein. La chemise à carreaux qui me rappelle mon grand-père. La casquette, qui est aussi un truc familial. Le pantalon en velours, …, en fait, j’ai beaucoup de choses immuables dans ma garde-robe. »
Quelle est la pièce la plus folle que vous possédiez ?
Loïc Prigent: « C’est une bonne question. Un foulard Hermès sur lequel sont représentés les costumes bretons que j’ai trouvé dans une boutique de seconde main à Hong Kong. C’est un ami qui l’avait vu mais n’avait pas songé à me le prendre. Six mois plus tard, je suis à Hong Kong et je me rends dans ce magasin où le foulard se trouve toujours. Je l’ai acquis à un prix inférieur à celui d’un nouveau foulard et, en bonus, le costume de mon village, la coiffe de ma grand-mère s’y trouve. C’est sans doute la pièce la plus folle de ma garde-robe au point de vue de son origine story car je ne suis pas encore au bout du chemin : sa première propriétaire a indiqué son nom juste en dessous de l’étiquette Hermès. »
Entre la laine, le tweed, la soie, le coton, quelle est votre matière préférée ?
Loïc Prigent: « J’aime bien la soie, le chanvre et le lin. Mais le tweed des Maisons d’art de Chanel est composé d’un grand nombre de matières : des dentelles, des fils de soie, … toutes sortes de fil qui vont donner une narration, comme s’il y avait un moodboard dans la matière. C’est réalisé chez Lesage qui possède en plus de la broderie, à présent une division de création de tweed réalisé au métier, à l’ancienne. Il y a le geste, le bruit du métier, la délicatesse avec laquelle les artisans me le racontent quand je leur rends visite. J’adore quand on peut raconter une histoire avec un tissu et que ce soit une plus-value pour les créateurs comme pour la femme qui achète. Raconter une histoire est un aboutissement pour le créateur que je suis. La femme qui porte un vêtement fait d’une telle matière a une aura pour ceux qui la regadent et la côtoient. »
La pièce qui sera, selon vous, incontournable en 2025 ?
Loïc Prigent: « Je crois qu’on sera dans l’archétype. Un T Shirt, un manteau auquel on va ajouter une bizarrerie, ou dont on va exagérer quelque chose, l’élargir dans un endroit inattendu. »
Votre maison préférée en 2024 ?
Loïc Prigent: « J’ai adoré le travail de Jeanne Friot. Vous voyez la chevalière à la cérémonie des Jeux Olympiques ? Elle portait des bottes signées Jeanne Friot. Le discours de cette créatrice est passionnant. J’ai visité son atelier qui est encore dans un sous-sol mais elle est l’avenir. »
- MILLE MILLIARDS DE RUBANS, LOÏC PRIGENT, 202P., Ed. GRASSET
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