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Littérature: connaissez-vous l’incroyable histoire d’Anita Conti, la Dame de la Mer?

Après Alice Guy, première cinéaste, la nouvelle clandestine de l’Histoire racontée par Catel et Bocquet est celle que les marins appelaient La Dame de la Mer. Une nouvelle fois, l’oeuvre est énorme, tant au niveau de la reconstitution biographique, du déroulement du siècle auquel nous assistons que de la réalisation graphique. Et une fois de plus, nous découvrons une femme exceptionnelle qui devrait pendre une place mille fois méritée, au Panthéon. Par Nicky Depasse

Anita Conti, c’est votre cinquième personnage que vous appelez les clandestines de l’histoire. Pourquoi ?

Catel Muller : Ce sont des femmes qui ont marqué l’Histoire mais dont la mémoire n’a pas été transmise. Nous essayons donc avec cette collection de compléter les livres d’Histoire qui sont peuplés de héros, de Vercingétorix à Charles De Gaulle, en passant par tous rois Louis, en ajoutant aux rares Jeanne d’Arc et Marie-Antoinette, des héroïnes qui peuvent servir de modèles à nos jeunes filles et jeunes hommes. L’Histoire manque de figures féminines car elle a été écrite par les hommes pour les hommes et il est grand temps de la revisiter.

Anita Conti, c’est la Dame de la mer. Son nom ne nous est pourtant pas familier, en tout cas beaucoup moins que celui du commandant Cousteau ou de Jacques Mayol. Que lui doit-on ?

Jean-Louis Bocquet : C’est la première personne qui s’est posé la question : que se passe-t-il sous la mer ? L’expression « pêche miraculeuse » dit bien le rapport que l’homme entretenait jusque-là avec la mer, il ne cherchait pas à savoir ce qui se passait sous la surface. C’est en commençant à étudier la vie sous-marine que dès les années 30, Anita Conti a été la première à alerter le monde que le fait de se servir de la mer comme égout se terminait dans son assiette, et aussi qu’augmenter la production de la pêche conduisait à vider les océans, donc appauvrir ceux qui en vivaient. Mais elle ne s’est pas contentée de lancer l’alerte, en s’embarquant pendant des mois sur des navires, par ses observations et ses expériences, elle a aussi ouvert la voie à de nombreuses solutions aux problèmes qu’elle avait soulevés. Ainsi Anita Conti va être la première femme à prouver qu’on peut faire l’élevage de poissons de mer ,au lieu de vider les océans de leur écosystème par la surpêche.

Quand elle a commencé ses activités de journaliste, sa présence à bord d’un navire pour de longues expéditions, c’était quelque chose d’improbable. Il va falloir l’intervention de gens haut placés pour imposer sa présence.

Jean-Louis Bocquet : En 1939, tous les bateaux de pêche sont réquisitionnés pour la guerre. Aucune femme ne peut donc monter à bord. Il va falloir que le Ministre de la Guerre intervienne et fasse voter une loi pour que Anita Conti, qui travaille pour l’office de la pêche, puisse monter à bord d’un chalutier. Cela prouve qu’on la prend au sérieux. Mais par contre, on n’entendra jamais parler du fait qu’elle a participé à l’effort de guerre en participant de manière déterminante au déminage du port de Dunkerque.

Comment arrivait-elle à se faire respecter par les marins, puisqu’elle était la première femme à monter à bord ?

Catel Muller : Grâce à son charisme et aussi à son éducation bourgeoise qui lui avait appris à ne jamais se plaindre. Durant des mois de mission sous les pôles, elle ne s’est jamais plainte de faim, de soif ou de froid. Encore moins du mal de mer. Et elle travaillait treize heures par jour, comme les matelots, sur le pont, par gros temps. En partageant leurs conditions de vie, extrêmement dures et douleureuses, elle se rendait invisible en tant que femme. Elle forçait le respect, au point que les marins l’ont surnommée la Dame de la Mer, alors que jusque-là, il était entendu qu’une femme à bord, portait malheur. Ce qui fait qu’aujourd’hui, si le nom d’Anita Conti est méconnu du grand public, il est encore célèbre et respecté dans le monde de la mer. Il faut savoir qu’elle n’était ni scientifique ni imposée, au départ, par aucune autorité ; elle est montée à bord de bateaux en tant que journaliste, tout d’abord, puis pour mener ses recherches, en autodidacte. Des recherches communiquées à des scientifiques qui se sont, grâce à son travail, fait plus connaître qu’elle.

C’était aussi une femme libre, elle a connu un mariage différent de la grande majorité des femmes de son époque …

Catel Muller : C’était une femme affranchie. Elle a vécu très peu de temps sous le même toit que son mari, le diplomate Marcel Conti, mais elle s’est toujours très bien entendue avec lui.

Jean-Louis Bocquet : Entre les deux guerres, à une époque où le mari est tout puissant, Conti accepte que sa femme ne souhaite pas le suivre à Vienne pour continuer son travail de relieuse d’art mais aussi de journaliste montant à bord de bateaux pour ses reportages. C’est ainsi que son aventure de Dame de la Mer débute. Ils se retrouvent donc le week-end à Paris ou à Vienne, du moins au début, avant de s’éloigner l’un de l’autre en tant que couple. Mais ils ne divorceront jamais. Anita va d’ailleurs vivre une relation passionnelle avec sa meilleure amie. Elles vont, un temps, mener une expérience de pêcherie en Afrique puis revenir vivre à Paris, ensemble, sans se soucier des conventions de l’époque. Des femmes très libres. Après la mort de son amie, Anita Conti finira par vivre une histoire d’amour platonique avec un homme beaucoup plus jeune qu’elle. Elle le reconnaîtra comme son fils adoptif, aux yeux de la loi, et lui, s’occupera d’elle jusqu’à son dernier souffle.

Nous pouvons à présent grâce à votre roman graphique, nous souvenir d’Anita Conti. Il ne manque qu’un film ou une série. Votre livre ferait un excellent scénario. Vous avez déjà été approchés par le monde du cinéma pour un précédent livre ou pour celui-ci ?

Catel Muller : Les deux. Le problème est de savoir si nous sommes les détenteurs de la vérité sur ces personnages publics, ils ne nous appartiennent pas, nous ne les avons pas créés. Et puis, ils ont fréquenté une foule de personnages de tout leur siècle dont le visage est extrêmement familier au public. Le coût de la production devient très rapidement très élevé et le projet est abandonné ou se trouve en panne. Il y a beaucoup de dossiers chez des producteurs concernant des personnages de notre collection comme Anita Conti, Olympe de Gouges ou Joséphine Baker.

* ANITA CONTI, CATEL & BOCQUET, 364P., ÉD. CASTERMAN

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