La lecture du mois: la Belge Alix Garin explore le vaginisme dans un brillant roman graphique

La souffrance, le désarroi et la solitude ressentis face au vaginisme, ce terrible trouble de la sexualité qui dresse une barrière entre la femme et son (ses) partenaire(s), tel est le sujet du brillant, magnifique et émouvant roman graphique de la Belge Alix Garin. Par Nicky Depasse.  

Remarquée, distinguée et couronnée de succès en 2021 avec Ne m’oublie pas, sa première et poignante première oeuvre, la jeune illustratrice et scénariste Alix Garin prend tous les risques en dévoilant le mal-être qui a torturé son intimité durant des années. Une totale réussite artistique et visionnaire, une histoire déchirante redoutablement prenante brisant la solitude imposée par le carcan moral. Bref, un grand souffle de fraîcheur et d’espoir qui montre la voie vers la liberté.

Votre roman graphique aborde un sujet difficile, le vaginisme est-il encore tabou aujourd’hui ?

« J’ai envie de dire oui car j’en ai souffert : pendant plusieurs années, j’ai essayé de me soigner en découvrant un désert médical, une absence de connaissance du sujet par les praticiens qui était interpellante. Et puis aussi cette honte face à ce qui m’arrivait et dont je n’ai osé parler à personne parmi mes proches, famille et amies, pendant des années. Ce qui prouve bien la honte et le tabou qui existent autour des troubles de la sexualité au sens large, comme l’absence du désir dans un couple, et pas seulement le vaginisme. D’où l’intérêt de faire ce travail autobiographique qui me permet de dire : ça m’est arrivé et il ne faut plus en avoir honte. »

Quand on a connu le succès en tant qu’auteure, est-ce compliqué de dévoiler une expérience aussi intime ?

« C’est en fait une promesse que je m’étais faite de raconter un jour mon expérience par mes illustrations. Et sachant la visibilité que j’allais donner à ce moment de ma vie que j’allais raconter, mon cap a été celui de la sincérité, raconter les choses telles que je les ai vécues et ressenties parce que ce faisant, il n’y avait plus de place pour les regrets. Et je suis sûre que cette sincérité va permettre à beaucoup de personnes de s’identifier, et pas seulement des femmes. Je n’ai pas envie de prêcher uniquement pour des convaincues, j’ai aussi envie de toucher leurs compagnons actuels, passés ou futurs, leurs frères et leurs parents. »

Il s’agit d’un mal méconnu mais dont beaucoup de femmes souffrent en silence ?

« Oui. Le chiffre est à vérifier mais on estime que cinq pourcent des femmes en souffrent ou en ont souffert car cela peut aussi être passager, le vaginisme ne surgit pas forcément dès les premiers rapports sexuels. D’ailleurs lorsque j’ai commencé à évoquer autour de moi que j’allais réaliser un album sur le sujet parce que j’en avais souffert, j’ai été très surprise par le nombre de réactions de l’ordre du moi aussi, y compris et surtout de la part de personnes que je fréquentais au quotidien et dont je ne soupçonnais qu’elles puissent souffrir de la même chose que moi. Cela n’a fait que renforcer la conviction que je devais en parler.

Comment réagissent les hommes quand ils sont confrontés à cette expérience ?

« Dans les témoignages que j’ai recueillis, la grande majorité des hommes se montre patiente et bienveillante. Il ne s’agit bien sûrs que de retours que j’ai eus de proches ou de lectrices qui m’écrivent ou que je rencontre lors de dédicaces mais, même s’il ne s’agit pas d’une étude statistique, le fait de savoir que ceux qui se sont découragés et sont partis, représentent une minorité, est encourageant. Que la patience et la bienveillance chez les hommes soit très largement répandue est, pour moi, une très bonne nouvelle. »

Que peut faire une femme qui souffre de vaginisme ?

« De l’ordre du conseil, un site m’a beaucoup aidée, il s’agit de lesclesdevenus.org qui répertorie beaucoup de matières premières pour informer sur le sujet, à savoir les symptômes, et tient à jour un répertoire de professionnels de santé recommandés pour leur expertise, par des patientes. C’est une forme d’intelligence collective où on
peut trouver des gynécologues, kinés et sexologues. »

Comment se diagnostiquer quand on est confrontée à ce problème ?

« Il existe deux cas de figure : le vaginisme primaire qui se manifeste dès l’entrée dans la sexualité où le blocage est complet et le vaginisme secondaire qui survient parfois bien plus tard et se développe généralement petit à petit. C’est du moins ce qui m’est arrivé. Je l’ai mal identifié en me disant que ces petites douleurs n’étaient pas graves, qu’elles allaient s’estomper, qu’il fallait que je morde sur ma chique, raison pour laquelle les symptômes se sont aggravés. Et raison pour laquelle il faut en parler, dire que nous ne sommes pas censées ressentir de la douleur, à aucun moment et à aucun degré, lors d’un rapport sexuel. Nous ne devons pas tolérer ça, déjà pour notre propre corps, par respect pour nous-mêmes. »

On en guérit facilement ou difficilement ? Y a-t-il de la récidive ?

« Je crois en la rémission, du moins pour moi, déjà. Mais dans l’absolu, je pense que tout dépend de la manière dont le vaginisme s’est déclenché, des facteurs qui l’ont influencé et comment on peut s’attaquer à ces facteurs. Une bonne partie du vaginisme est psychologique et comme tous les problèmes psychologiques, on ne peut promettre de guérison à personne. Je suis une éternelle optimiste, donc je pense qu’on peut aussi se sortir heureuse d’un vaginisme incurable si on l’accepte. Car autant il est vrai qu’on peut vivre une sexualité sans pénétration, autant l’absence de pénétration n’est pas la question quand on n’a juste pas envie de faire l’amour avec son partenaire, parce que ce désir nous a quittées. Il faut donc en arriver pouvoir dire aux gens : “si tu n’as plus envie, laisse tomber, ce n’est pas grave, tu n’es pas obligée”.

  • IMPÉNÉTRABLE, ALIX GARIN, 300P., ÉD. DU LOMBARD

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