Rencontre: Jane Birkin, ses confidences et son dernier hommage émouvant
Après avoir traversé de nombreuses tempêtes, Jane Birkin chante toujours les mots de Serge Gainsbourg. Avec le temps, ils ont pris un sens différent, mais leur amour demeure fascinant et éternel.
Un hommage différent
Lorsque nous entrons dans la chambre de l’hôtel bruxellois où elle donne ses interviews, Jane Birkin commence par nous parler d’une amie commune pour laquelle elle se fait du souci. Jeans, Converse et chemise blanche, elle est comme ça, Jane: nature, prévenante, d’une immense générosité. Forte aussi. Elle a vaincu la leucémie et s’est relevée après le suicide de sa fille aînée, Kate Barry. Aujourd’hui, à 70 ans, elle a rallumé l’étincelle juvénile qui fait partie d’elle. Son retour sur scène n’est pas étranger à cette renaissance, dans la foulée de son album de reprises de 21 chansons de Serge Gainsbourg en mode symphonique.
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«Après la mort de ma fille, je suis restée à la maison à ne rien faire pendant deux ans. Puis je suis tombée malade, j’étais à l’hôpital trois fois par semaine, je ne pouvais pas vraiment bouger et je pensais que les carottes étaient cuites... Les docteurs m’ont enlevé la rate. Puis mon corps a refonctionné, avec des doses massives de cortisone, et des antidépresseurs par-dessus le marché. J’ai pris 15 kilos d’eau. Je n’étais pas jolie à voir. Mais j’avais envie de dire les textes de Serge sur scène, comme je l’avais déjà fait avec Michel Piccoli et Hervé Pierre. Il suffisait de peu de choses et je pouvais lire les paroles. On est partis en tournée jusqu’au Canada et, lors d’une interview, j’expliquais que, souvent, Serge mettait ses mots sur de la musique classique pour Bambou, Bardot et moi. Alors on m’a demandé pourquoi je ne chantais pas les chansons avec un orchestre philharmonique. Je trouvais ça un peu prétentieux, puis, dans le cadre d’un festival de la francophonie, on m’a proposé un orchestre et une date. J’ai contacté le chef japonais Nobu Nakajima, qui fait des orchestrations et des musiques de films. Il me semblait qu’il pouvait rendre le tout intrigant et pas ennuyeux. Il a accepté.»
Quel a été votre ressenti en remontant sur scène?
« On a donné un premier concert à Montréal quand j’étais encore en traitement. Ce n’était pas terrible, je chantais à peine. Mais l’orchestre était formidable. Puis on devait partir jouer à Shanghai et y enregistrer le disque en même temps, mais la Chine a refusé mon visa à cause de mon soutien au Dalaï-Lama. Alors on a enregistré en Pologne. On a commencé la tournée à Hong Kong avec une merveille de philharmonique. Ils avaient traduit les textes de Serge en chinois. J’étais si fière. Et j’ai trouvé cela tellement émouvant. »
« Je voyais Serge en larmes derrière la vitre. Je ne savais pas quoi faire, à part chanter le plus beau que je pouvais »
Vous dites que vous préférez les chansons les plus tristes de Gainsbourg, mais celles écrites après votre rupture ne sont-elles pas justement les plus difficiles à chanter?
« Non, la vie a été difficile mais les chansons ne le sont pas. C’est vrai que les paroles me semblent plus terribles aujourd’hui que ce que j’avais compris à l’époque. Pendant l’enregistrement de Baby Alone in Babylone avec Fuir le bonheur et Les Dessous chics, alors que je venais de quitter Serge, je le voyais en larmes derrière la vitre. Je ne savais pas quoi faire, à part chanter le plus haut, le plus pur, le plus beau que je pouvais. Et puis, à notre surprise, cela a été un disque d’or. Lui aussi a eu un disque de platine immédiatement après notre séparation avec Aux Armes et cætera. Mais pourtant, il m’a envoyé Lost Song: «Dans la jongle de nos amours éperdues / Notre émotion s’est perdue.» À l’époque, je me suis dit: «Il remet ça, je suis partie avec quelqu’un d’autre, c’est pour me culpabiliser.» Là, j’ai découvert à quel point les mots sont tragiques. C’est pour moi la plus belle chanson jamais écrite sur la séparation, la perdition des amours. Peut-être que je ne lui ai pas assez dit merci. Sur le dernier disque qu’il m’a écrit, Amours des feintes, il dit à la fin: «De ces empreintes / De nos vingt ans / Ne restent que les teintes / D’antan / Qui peut être et avoir été / Je pose la question / Peut-être étais- je destinée / À rêver d’évasion.» Et hop, il s’est en effet évadé de cette Terre trois mois plus tard. C’est très troublant. »
De quelle facette de Serge avez-vous été la plus éprise?
« Psychologiquement, c’est intéressant. Il a changé son nom en Gainsbarre. Il a brûlé un billet à la télé. Il était bourré et disait à Whitney Houston qu’il voulait la baiser. C’était un personnage scandaleux, audacieux, irrévérencieux, très nécessaire en fait. Une personne choc. Et en même temps, il avait un côté complètement candide et innocent, si blessé et féminin. Il m’a donné ça à chanter. C’est pour ça que je tiens tant à ses chansons, c’est parce qu’elles parlent de lui. Et non pas parce qu’elles me ressemblent, à part peut-être Ex-fan des sixties ou Didouda. C’est sa fragilité que j’ai toujours trouvée si attachante, avec sa bonté. Parce que c’était quelqu’un de tout à fait gentil. »
« je voulais être vue pour moi-même et comprise, comme beaucoup de femmes à 40 ans »
Mais vous êtes quand même partie...
« C’était lui qui organisait tout, qui était le chef de tout. Or, je voulais être vue pour moi-même et comprise, comme beaucoup de femmes à 40 ans. Il buvait comme un trou. Je devais le ramasser à 5h du matin, le ramener à la maison, et il ne se souvenait pas de ce qu’il avait dit. C’était ennuyeux, fatigant, toujours la même chose. Et tout à coup, je suis partie avec mon panier, c’est tout. Je suis allée à l’hôtel et je lui ai laissé un message pour qu’il ne s’inquiète pas pour moi. Je ne suis plus jamais retournée à la maison. J’ai simplement recontacté la dernière personne qui m’avait trouvée intéressante, Jacques Doillon. Par la suite, Serge est venu me jeter mes vêtements. J’avais très peur des reproches, d’être vue comme la femme qui a fauté. J’ai relu le journal que je tenais à l’époque et j’ai envie de le publier dans un an. »
• ALBUM BIRKIN-GAINSBOURG: LE SYMPHONIQUE (WARNER).
• Jane Birkin sera en concert en Belgique dans le cadre des festivités du 175è anniversaire du parc et du Château de la Hulpe, le samedi 2 septembre, en plein air, avec l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Réservation via b-music.be ou ticketmaster.be
Retrouvez cette rencontre en intégralité dans le GAEL de septembre, disponible en librairie!
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