Amélie Nothomb: « les meilleurs lecteurs sont les écrivains »
L’auteure de Stupeur et tremblements et de Ni d’Ève ni d’Adam n’est plus la même femme que celle qui, en 2023, est retournée au Japon, le pays de sa petite enfance. Celui où, jeune adulte, elle a voulu se fixer. Dans son dernier livre, elle tient le rôle de guide et de narratrice d’un voyage inattendu. Par Nicky Depasse.
Votre sujet de conversation préféré ?
Le champagne est ma boisson préférée, mais aussi un merveilleux sujet de conversation, car j’ai beau m’y connaître, j’ai encore énormément de choses à découvrir : je suis toujours à la recherche d’une nouvelle bonne adresse. J’aime entendre ce que le champagne inspire à d’autres personnes, mais aussi convertir des gens au champagne.
Un argument qui vous énerve ?
L’argument d’autorité, celui des connaisseurs. En parlant de champagne, il n’y a rien de plus terrible que de s’entendre dire par un connaisseur : « Comment, vous buvez du champagne à cette température ? Mais vous vous trompez ! Le champagne doit se boire impérativement à telle température ! » Rien ne m’énerve plus que de me trouver face à quelqu’un qui m’excommunie parce que je ne fais pas les choses comme il se doit.
Une théorie personnelle qui vous tient à cœur ?
J’ai une théorie, qui n’est peut-être pas très audacieuse, mais j’ai remarqué que les meilleurs lecteurs sont les écrivains. J’adore être lue par le plus grand nombre, mais quand un écrivain me parle de mon livre, cela me fait plus d’effet : les écrivains ont une manière particulière de lire.
La dernière fois que vous avez changé d’avis ?
Je suis quelqu’un qui change assez facilement d’avis sur des choses qui ne sont pas essentielles. Jusqu’à présent, je préférais le mille-feuille à l’horizontal. J’avais vu des chefs qui le faisaient à la verticale et je trouvais cela idiot : j’avais déjà du mal à le découper à l’horizontal… Jusqu’à ce qu’une amie me serve un mille-feuille vertical qui m’a complètement bluffée. Depuis, je ne jure plus que par le mille-feuille vertical.
Un sujet de discussion qui vous ennuie ?
Quand j’entends des gens dire que tout va mal. Comprenons-nous bien : bien sûr que tout va mal, mais il faut éviter d’en faire un sujet de conversation, car nous devons continuer à vivre, fournir des efforts pour améliorer les choses. Alors les discussions du genre : « On va droit dans le mur et il n’y a rien à faire », qui donnent envie de se pendre, ça m’ennuie profondément. Car même si ces gens ont raison, ils ont tort : le but d’une conversation n’est pas de donner l’envie d’aller se suicider tout de suite après.
Le titre de votre livre en dit long… Votre retour au Japon a été difficile ?
Très difficile, car le Japon est le pays où j’ai vécu des expériences fondatrices, l’investissement sentimental est donc très lourd, au point que j’y vais assez rarement. J’ai mille raisons de pleurer en retournant sur les lieux de ma jeunesse et encore plus de repartir, car je sais que ma vie n’est pas là-bas, j’ai fini par l’admettre. J’y suis allée l’an dernier parce que j’y ai été invitée par une amie très chère : ce voyage a été aussi sublime qu’espéré, mais il m’a aussi fait comprendre pourquoi j’avais auparavant freiné des quatre fers pour ne pas y retourner, car cela m’a brisé le cœur. Ce livre est un exutoire, une manière de ne pas garder pour moi ce que j’y ai vécu, mais aussi une volonté de partage. Que ce soit au Japon ou n’importe où, retourner sur les lieux de son enfance quand on a atteint un certain âge est un très grand danger. Tout le monde peut, à sa manière, se retrouver dans ce livre, avec sa propre histoire.
- L’Impossible Retour, Amélie Nothomb, 158 p., éd. Albin Michel.
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