Benjamin Biolay: « Ma vie privée est un long cauchemar sans solution »
Dans un vrombissement de guitares, l’auteur-compositeur-interprète nous emmène pour un tour de piste sur son 9e disque, Grand Prix, brillante métaphore de sa vie d’artiste.
Un concept-album rock, chic, mélancolique et dansant tout à la fois. Par Isabelle Blandiaux.
Un « tourbillon d’émotions ». C’est ce que ressent Benjamin Biolay au moment où nous lui parlons au téléphone, alors que Paris commence à se déconfiner très lentement. Au chômage technique en tant qu’acteur (il avait commencé le tournage du dernier film de Laetitia Masson ainsi qu’une grosse série pour TF1, Rebecca) et en « confinement sentimental » vis-à-vis de ses proches argentins — puisqu’il vit habituellement entre deux continents —, il a encore du mal à dire si cette expérience collective va le transformer, mais il confie : « J’ai l’impression que je vais à nouveau être connecté à la chose politique, parce que tout dépend de cela, en fait : quand on vote, comment est-ce qu’on peut donner sa confiance à une per- sonne en sachant qu’il peut se passer des choses aussi intenses que celle qu’on traverse ou, pire, une guerre ? Et puis je sens une envie de repli sur moi et ma famille, j’aspire à travailler à un refuge commun pour pouvoir se retrouver sans la douleur du manque, de l’absence quand les temps sont durs comme ça. Parce que j’ai une petite fille en Argentine et aujourd’hui, je ne sais pas quand je vais pouvoir la revoir... C’est épouvantable et difficile de penser à autre chose. Ma vie privée est un long cauchemar sans solution. »
« J’adore le rap et j’en écoute beaucoup, mais à 47 ans, je ne vais pas faire du jour au lendemain un album urbain, même si j’adore travailler avec des rappeurs ».
Tourbillon d’émotions aussi à l’aube de la sortie de son 9e album studio en près de vingt ans. Grand Prix est un grand cru sur le thème allégorique de la course auto, où l’énergie rock contagieuse ébouriffe les arrangements millimétrés et le spleen intense colore les ballades addictives. Si Benjamin Biolay a repris beaucoup de chansons françaises à la guitare — en live sur Instagram — lors du confinement, c’est du rock anglo-saxon qui l’a porté : « J’ai dû écouter 700 fois le dernier album des Strokes (The New Abnormal), sorti récemment. Je regardais la rue déserte, j’écoutais la voix de Julian (Casablancas, NDLR) et je me disais : “Heureusement qu’il est là, il m’aide à tenir le coup.” C’est comme une peine de prison, quand on est en préventive et qu’on ne sait pas combien on va prendre. On n’a pas la date de sortie. C’est ça qui est vertigineux. »
Ce qui saute aux oreilles, sur ce nouveau disque, ce sont toutes les guitares — et cela fait du bien d’en réentendre autant en 2020. Est-ce que le son de cet album est venu d’un besoin de renouer avec l’émotion rock qui vous a donné l’envie de faire ce métier ?
C’est ce qui s’est passé pendant cet album et c’était formidable, renouer avec toutes ces émotions rock qui datent de la jeunesse. Écrire des chansons, c’est pour toujours un truc de teenager et jouer de la guitare, c’est pour épater les filles, sauf qu’il n’y en a plus (rires). Tout cela part du plaisir adolescent de faire de la musique en groupe. J’avais aussi et surtout envie de dire « Vous m’emmerdez » à ceux qui me demandent depuis deux ans de faire un disque un peu urbain. J’adore le rap et j’en écoute beaucoup, mais à 47 ans, je ne vais pas faire du jour au lendemain un album urbain, même si j’adore travailler avec des rappeurs. Du coup, j’ai pris le contre-pied de ce que tout le monde me disait de faire. Avec un plaisir fou.
Vous aviez envie de retrouver plus d’énergie sur scène, après votre tournée Songbook avec Melvil Poupaud ?
Oui, reprendre des anciennes chansons ou des chansons d’autres auteurs et les interpréter sur scène avec Melvil de façon plus music-hall, c’était très intéressant. Mais il y avait des moments frustrants : je sortais de concert sans ressentir l’épuisement qui est de rigueur quand on a fait de la musique un peu rythmée pendant deux heures. Cela m’a donné envie d’envoyer plus de son, de rebrancher les guitares électriques dans l’ampli et, du coup, de chanter plus fort parce que la voix doit suivre pour être audible. Je n’allais pas murmurer comme je l’ai fait sur certains albums alors que derrière, il y a une espèce de fougue.
Votre culture rock anglo-saxonne — on sait votre goût pour les Smiths dans les eighties — a-t-elle toujours cohabité avec un amour de la chanson française ?
Morrissey (chanteur des Smiths, NDLR) est là depuis toujours dans ma tête, dans ma façon d’être, même de penser les chansons. Il a toujours été ma référence d’une espèce de dandysme musical qui ne nécessite pas de mettre sa vie en scène. Si ça se trouve, il est toute la journée en survêtement avec ses chiens, mais quand il apparaît, c’est dingue. La chanson française, à la base, je n’aimais pas ça pour des raisons vachement esthétiques et liées à mon quotidien. Quand je prenais le car pour aller bosser à Lyon, Radio Nostalgie — que j’écoute avec plaisir aujourd’hui — ne passait que des standards de la chanson française et je me disais à chaque fois que je détestais ça. Par contre, je trouvais la langue française merveilleuse, même si elle est quasi impossible à faire sonner et qu’écrire des paroles en français demande des années d’artisanat. Puis il y avait quand même quelques auteurs-compositeurs (Trenet, Gainsbourg, Nougaro) qui s’inspiraient de la musique des autres pays tout en valorisant l’immense richesse de la chanson française.
Pourquoi la mythologie de la course automobile vous fascine autant ?
C’est ma madeleine de Proust, le grand prix automobile de Formule 1 du dimanche. J’ai toujours aimé. Et j’ai toujours aimé extrapoler tous les à-côté : la vie et la mort des pilotes, leur existence courte mais tellement remplie. Et puis l’accident fatal de Jules Bianchi en 2015, un pilote français très jeune et plein d’avenir, qui allait normalement piloter pour Ferrari, a été un grand choc pour moi. La chanson Grand Prix, qui lui est dédiée, a été la première de cet album. Le thème de la route me parle beaucoup parce que c’est mon travail à moi. Le titre Ma route, je l’ai écrit dans un tour bus la nuit, en regardant l’autoroute. Je connais la sensation de faire toujours des tours en rond et puis de revenir au même endroit. En tournée, on fait la route pendant des heures la nuit, puis on se réveille sur un parking, on va dans des loges avec l’impression que ce sont toujours les mêmes. Par contre, le soir, c’est magique. La salle se remplit, le trac arrive et puis de nouvelles aventures uniques en soi se créent. En studio, c’est pareil : on a l’impression de faire des tours et des tours.
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