8 heures dans la peau d’une vendeuse: notre experte mode a testé!
Travailler dans une boutique de prêt-à-porter? Un métier que Marie Honnay, notre journaliste mode, aurait rêvé d’exercer... à condition de réussir à calmer ses ardeurs de relookeuse! PAR MARIE HONNAY. PHOTOS: LAETIZIA BAZZONI.
Une journée dans la peau d’une vendeuse
Depuis toujours, je fantasme sur les femmes qui travaillent dans les boutiques de mode. Voir arriver une cliente, décrypter son style, lui proposer des pièces qui vont cadrer avec son look ou lui donner de nouvelles idées... En discutant avec Sophie Helsmortel, propriétaire de la boutique ixelloise Cachemire Coton Soie, là où je m’apprête à me glisser pendant une journée dans la peau d’une vendeuse, je me rends compte que la réalité est toute différente. D’abord parce que je suis tellement passionnée et enthousiaste que j’ai du mal à comprendre qu’on ne puisse pas A-DO-RER mon idée de mixer un manteau léopard avec un joli imprimé floral. Or, une vendeuse doit, plus souvent qu’à son tour, mettre en poche ses certitudes, ses a priori... et ses coups de cœur (ou de blues). «Il arrive qu’une femme qui entre pour s’offrir un pull rouge ressorte avec des escarpins en velours ou... rien du tout. La plupart du temps, la vendeuse n’y est pour rien. La cliente n’est peut-être tout simplement pas dans un état d’esprit qui l’incite à l’achat.»
Une bonne vendeuse est censée « développer et améliorer sans cesse sa connaissance des produits, offrir au client une expérience totale, maîtriser les tendances à la perfection, vendre du rêve et de l’émotion... »
En lisant les offres d’emploi du secteur, je découvre qu’une bonne vendeuse est censée «développer et améliorer sans cesse sa connaissance des produits, offrir au client une expérience totale, maîtriser les tendances à la perfection, vendre du rêve et de l’émotion, pouvoir travailler en équipe et se montrer ultra-flexible, être capable d’expliquer chaque matière entrant dans la composition des vêtements, soigner l’apparence du magasin et en être fière, gérer au quotidien les stocks de la boutique, parler une, voire deux langues étrangères, avoir le goût du challenge» et, ce qui m’angoisse le plus compte tenu de mon tempérament, «être formée aux codes et aux procédures de la maison et les appliquer parfaitement». Autant dire que j’ai la pression et... une dernière question: je dois m’habiller comment, pour mon stage chez Cachemire Coton Soie? Sophie me demande de porter des vêtements basiques afin de «tendre vers une certaine neutralité propice à mettre la cliente en avant». Bon, me voilà prévenue et... un peu stressée.
10h30
La boutique ouvre à 11h, mais les vendeuses arrivent un peu avant. L’une passe l’aspirateur, l’autre range ou réassortit le magasin... Natacha et Marcelline, mes collègues d’un jour, portent des looks de la boutique. Moi, j’ai opté pour une robe en voile noir que je crois assez neutre. Pas de talons. J’ai eu un bon pressentiment: d’abord parce qu’il est tout simplement impossible de tenir huit heures sur des escarpins sans souffrir le martyr et puis, comme je vais le découvrir très vite, parce que le métier s’apparente à un véritable entraînement sportif.
11h30
Un livreur débarque dans la boutique avec deux cartons gigantesques en provenance d’Italie. Ma première mission: descendre les caisses, presque aussi grandes que moi, à la cave. Elles pèsent une tonne et je manque de renverser un mannequin en amorçant ma descente. Oups, ça commence fort! Armée d’un cutter, Natacha commence à ouvrir les cartons. À l’intérieur: des tringles supportant des dizaines de cintres. Il faut tout sortir, tout trier, puis vérifier, documents de commande à l’appui, que rien ne manque et que ce sont bien les bonnes tailles et les bonnes couleurs qui ont été livrées. «On teste les vêtements sur nous, précise Natacha. Ça nous permet de voir, par exemple, que telle pièce taille vraiment petit. C’est utile pour ne pas décourager une cliente qui n’entrerait pas dans un 40 alors qu’elle s’habille dans cette taille depuis toujours.»
12h30
Il me reste à enlever les pantalons des housses (sauf les blancs qui restent sous plastique pour éviter qu’ils ne se salissent avant la mise en rayon) et à étiqueter chaque pièce. Une erreur à ce niveau et ce sont des problèmes à répétition. Du coup, même Natacha, d’habitude pétillante et très drôle, évite de papoter. Et moi qui ai une foule de questions à lui poser! J’ai intérêt à me concentrer sur ma mission. La réserve est aussi ordonnée que le magasin proprement dit. Une question d’efficacité. Lorsqu’une vendeuse est en cabine avec une cliente, elle doit, pendant que la personne se change, avoir le temps d’aller chercher la taille au-dessus ou en dessous.
13h30
La pause de midi. Chacune la prend à tour de rôle. Entre Natacha et Marcelline, visiblement, ça colle bien. Natacha m’explique qu’ici, les filles s’entraident. Si l’une s’occupe d’une cliente, l’autre va vider la cabine et remettre les pièces en rayon à la fin de la vente. Ne rien faire pendant que les autres s’activent, non seulement ça fait mauvais genre, mais c’est aussi le meilleur moyen d’avoir l’impression qu’une journée de huit heures dure le double. Chez Cachemire Coton Soie, l’allure du magasin est primordiale. Marcelline me montre une tringle. Moi, a priori, je ne vois rien qui cloche. Elle, si. Elle reboutonne les robes qui ont été essayées par une cliente et remises trop vite en rayon, vérifie l’écart entre les vêtements sur les portants, replie ce qui doit l’être, évite la présence de deux pièces en denim côte à côte (c’est moche!) et cache les étiquettes à l’intérieur des robes. Des détails. Oui. Mais qui font toute la différence.
« J’aime les vêtements à la folie. Découvrir de nouvelles marques, créer de chouettes looks de saison, c’est mon truc. Mais devoir calmer mes ardeurs créatives en permanence, je pense que je ne pourrais pas. »
14h30
Ma première cliente: une dame d’une cinquantaine d’années cherche une robe pour aller travailler. Pas trop longue. Pas trop courte. Pas bleue, même si c’est une couleur qui lui va, parce qu’elle a déjà beaucoup trop de bleu dans sa garde-robe. Elle a envie de couleur, mais rien de trop voyant tout de même. Elle veut aussi une jupe unie pour porter avec ses tops imprimés. Je comprends que ma passion pour le mariage de motifs audacieux, ce n’est pas ici que je vais l’assouvir! Le métier de vendeuse consiste à conseiller, rassurer, aiguiller. Pas à relooker les gens. Natacha me file un coup de main. Elle a trouvé pour la dame une jupe bleue (oui, finalement, en version jupe, elle accepte l’idée du bleu...). La jupe est signée Sofie d’Hoore, une créatrice belge connue pour la qualité de ses tissus, l’intemporalité de ses coupes... et dont les vêtements «taillent grand». «Entrer dans du 36, c’est bon pour le moral», glisse Natacha à la cliente qui ne relève pas la remarque. Même si, à mon avis, elle n’en pense pas moins. La jupe lui plaît, mais elle la trouve trop longue et me demande si cette longueur est tendance. Je lui explique (ça, c’est dans mes cordes) qu’il n’y a plus vraiment de règle et que ce
qui compte, ce sont les proportions. Natacha ajoute que si elle le souhaite, elle peut toujours la faire raccourcir de quelques centimètres. Ça, visiblement, la dame n’en a pas envie. Elle trouve la robe déjà assez chère. Mais comme elle «cherche une pièce comme ça depuis longtemps...», elle est d’accord de mettre le prix. Finalement, après avoir changé d’avis plusieurs fois, elle décide d’acheter la jupe et de ne rien changer à la longueur. À la caisse, je sens qu’elle se détend, contente, probablement, d’avoir trouvé une pièce qui répond à son envie du moment. Elle raconte son dernier voyage, confie qu’elle vient de vivre une année stressante au boulot (un stress qui explique les quelques kilos qu’elle aimerait perdre) et remercie pour les conseils qu’on lui a donnés.
16h30
Les mannequins installés dans le magasin donnent une idée très précise du style choisi pour la saison. Je décide, pour me faire la main, de présenter un nouveau manteau en cachemire gris perle sur une robe tutu blanche. Un contraste un peu extrême, mais qui, je trouve, fonctionne bien. Natacha n’est pas contre l’idée, à condition que je passe d’abord le manteau au défroisseur vapeur. Pas question de présenter, en magasin, un manteau qui affiche des plis, même légers. Je fais ensuite essayer une paire de chaussures à une cliente qui vient d’entrer dans le magasin. Mon premier réflexe: poser les boîtes par terre. «Ce n’est pas l’usage», me glisse Natacha. Le mieux, pour éviter de se contorsionner inutilement devant la cliente, c’est de les disposer sur une table et de lui tendre la paire. Je lui propose ensuite d’essayer une veste à paillettes... qui ne la convainc pas. Déception! Il faut toujours s’adapter à la cliente. «Si une femme se sent mal à l’aise dans un vêtement, m’expliquent Natacha et Sophie, il faut la rassurer, lui faire comprendre que c’est le modèle qui ne lui convient pas et lui proposer autre chose. Sans se braquer ni se décourager.»
18h30
Ma journée touche à sa fin. J’ai mal aux jambes. Vendeuse, c’est un métier éreintant. Et pas que physiquement. Il faut accueillir les femmes, les conseiller, les aiguiller, les rassurer, voire les sortir de leur zone de confort pour leur permettre de faire évoluer leur style... Ça demande une énergie folle! Il faut rester diplomate, ne rien brusquer et attendre. Cette patience-là, je ne suis pas du tout sûre de l’avoir. J’aime les vêtements à la folie. Découvrir de nouvelles marques, créer de chouettes looks de saison, c’est mon truc. Mais devoir calmer mes ardeurs créatives en permanence, je pense que
je ne pourrais pas. Il faut bien me l’avouer: ce métier demande des qualités qui ne sont pas vraiment compatibles avec mon tempérament passionné et plutôt rentre-dedans. À 18h30, je quitte la boutique le cœur léger, même si mes pieds, eux, ne le sont pas! J’ai passé une journée pleine de rencontres et d’expériences que je ne soupçonnais pas, et j’ai hâte de raconter tout ça dans GAEL. Comme quoi: à chacune son métier...
- NOS REMERCIEMENTS À L’ÉQUIPE DE LA BOUTIQUE CACHEMIRE COTON SOIE POUR
SA COLLABORATION À LA RÉALISATION DE CET ARTICLE. 53 RUE FRANZ MERJAY, 1050 BRUXELLES. WWW.CACHEMIRECOTONSOIE.COM.
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