Témoignage: Philine est « coordinatrice d’intimité » sur les plateaux tv et ciné
De l’empathie, de la discrétion et une bonne dose de psychologie. Certaines professions vous amènent à être tellement proche des autres qu’ils demandent plus qu’un diplôme. Philine, 40 ans, est coordinatrice d’intimité sur les plateaux télé et cinéma. Par Evelyne Rutten. Photo: Carmen De Vos.
Le témoignage de Philine (40 ans)
« Depuis #metoo, il y a quand même du changement et on ne laisse plus les choses au hasard. Pour soutenir une scène intime sur un plateau de tournage, il faut pas mal de compétences : le sens de la chorégraphie, du storytelling, de la communication et de la psychologie. Aux USA et au Royaume-Uni, il y a des formations, dont j’ai suivi plusieurs modules. Il n’y a pas encore de formation officielle dans le Benelux, mais j’y œuvre, avec d’autres acteurs du secteur des arts de la scène et de l’audiovisuel. Ça fait deux ans que je travaille pour différentes boîtes de production en Belgique et à l’étranger.
J’ai été danseuse et chorégraphe, j’ai l’habitude de travailler avec le corps humain, un peu comme un sculpteur donne une forme au corps. On est en lien intime, physique avec l’humain dans son ensemble. On n’essaie pas de manipuler, mais de motiver. La sensualité est inhérente au corps. Comment vous tenez-vous debout ? Comment vous couchez-vous ? Quelle histoire voulez-vous faire passer de cette manière ? En fait, j’exerçais déjà mon boulot de coordinatrice d’intimité avant qu’il porte ce nom. Aujourd’hui, je suis toujours chorégraphe, finalement, mais plus spécifiquement de récits intimes. Tel un coordinateur de cascadeurs qui accompagnerait une scène de bagarre : qui touche qui, et de quelle façon ? Et comment le faire en toute sécurité ?
« Je veille à ce que les limites de tous les acteurs qui doivent jouer une scène intime soient connues et surveillées »
Je veille à ce que les limites de tous les acteurs qui doivent jouer une scène intime soient connues et surveillées. Je les appelle au préalable, afin qu’ils ne ressentent aucune pression sur le plateau. En groupe, personne ne veut être le trouble-fête. En ayant un entretien individuel avec chacun, on peut l’éviter. Je sais ainsi que telle actrice ne veut pas qu’on voie ses seins à l’écran, ou que tel acteur a une cicatrice qu’il faut éviter. Tous les complexes remontent à la surface et nous tenons compte de ces sensibilités. Quand j’arrive au vestiaire avec un slip couleur chair ou un soutien-gorge à coller, je leur demande d’abord si je peux entrer et s’ils veulent de l’aide. Ce n’est pas parce que je les verrai tout à l’heure plus ou moins nus sur le tournage que je me permets de ne pas respecter leur nudité avant.
Il est indispensable que toutes les scènes soient discutées à l’avance. Nous citons explicitement chaque détail et comment nous allons travailler. Il est exclu de questionner les acteurs sur leur propre vécu sexuel, cela ne nous regarde pas. Un réalisateur ne peut en aucun cas dire : fais l’amour comme tu le ferais chez toi. Mais bien : comment ton personnage l’aborderait ? L’acteur est ainsi protégé en tant que personne. Nous en parlons et nous créons un cadre. C’est plus sécurisant pour les comédiens.
« Pour moi, c’est un privilège de participer à la création de récits intenses et qui mettent en scène la vulnérabilité »
Quand on tourne la scène, on travaille à plateau fermé, avec une équipe la plus réduite possible. Je suis toujours présente. Ma mission personnelle, c’est d’aider les scénaristes, les réalisateurs et les acteurs à raconter de nouvelles histoires, à montrer l’amour et le désir d’une nouvelle manière. Avec plus d’attention pour le plaisir féminin. Ou le vécu de la sexualité d’un personnage queer, c’est quelque chose que l’on ne montre jamais. Je ne crains pas les scènes explicites, du moment que tout le monde est sur la même longueur d’ondes. Mettre en scène une orgie est un vrai défi, mais un accouchement ou une scène d’allaitement peut l’être tout autant. Pour moi, c’est un privilège de participer à la création de récits intenses et qui mettent en scène la vulnérabilité. »
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