Rémunération, courses, pension: pourquoi les femmes se font avoir
Si les hommes sont plus riches que les femmes, ce n’est pas seulement dû à une différence de salaires. Dès l’argent de poche, l’écart se crée. Viennent ensuite toute une série de choix pas si anodins qui ne font que l’amplifier, comme le décortique la journaliste féministe Titiou Lecoq. Par Paloma de Boismorel. Photo: © Celine Nieszawer/Leextra/L’Iconoclaste.
Oser parler d’argent
Après Libérées ! sur le partage des tâches ménagères et Les Grandes Oubliées à propos de l’invisibilisation des femmes dans l’Histoire, Titiou Lecoq s’est attaquée au nerf de la guerre : le porte-monnaie. D’abord avec un podcast au titre qui claque (« Rends l’argent ») dans lequel elle abordait les aspects budgétaires de la vie à deux et puis avec un livre : Le Couple et l’Argent. Chiffres et études à l’appui, elle nous prouve ce que nous pressentions depuis toujours : les femmes sont perdantes financièrement. Aucune arnaque volontaire des hommes à leur égard, mais une suite de mécanismes qui s’accumulent, comme le montre au fil des chapitres l’exemple de Gwendoline, que l’on suit de son premier billet d’argent de poche jusqu’à sa pension. « Quand j’ai fini mes études, je ne savais pas lire une fiche de salaire », nous a avoué Titiou Lecoq avec son franc-parler et sa gouaille parisienne. L’appauvrissement des femmes face aux hommes est d’abord un problème d’éducation. La première chose à faire, selon elle, c’est de parler d’argent. D’oser en parler. Aux enfants, aux amis et à ceux qui partagent nos vies.
Rencontre avec Titiou Lecoq
Qu’est-ce qui a éveillé tes soupçons ?
J’ai écrit tout un livre sur les tâches ménagères (Libérées !, NDLR) sans parler d’argent une seule fois. Je pense qu’on a très peu parlé d’argent dans toute la vague féministe actuelle. Pour moi, en fait, c’est venu de Balzac et de son rapport à l’argent pendant l’écriture d’Honoré et moi. Quand on écrit une biographie, on est obligé de s’interroger sur soi-même. J’ai réalisé par exemple que j’étais incapable de négocier. J’ai pris une agente pour négocier mes contrats et j’ai commencé à me dire que j’avais quand même des intérêts économiques et qu’il fallait que j’arrête de remercier les gens de me donner quelques pourcents sur la vente de mes livres.
Pourquoi les comportements féminins sont-ils aussi irrationnels quand il s’agit d’argent ?
Je ne sais pas si c’est vraiment irrationnel. Je pense qu’il y a beaucoup de méconnaissance et qu’il y a effectivement cette idée qu’on n’est pas censées compter, même si, dans les classes populaires, ce sont quand même les femmes qui gèrent le manque d’argent. En revanche, on a tous parfaitement intégré que quand on est une femme qui pense à son intérêt personnel et qui n’est pas dans le sacrifice, c’est très, très vilain. Le stéréotype de la femme vénale est vraiment là pour nous éduquer. Et ça, Michelle Perrot (historienne féministe, NDLR) l’explique hyper bien, il y a cette idée de la féminité construite sur le don de soi. On est là biologiquement pour donner la vie, notre lait, notre temps, notre amour. Dans Libérées !, j’ai déjà analysé cet aspect sacrificiel de la posture féminine, mais à l’époque, j’étais épuisée par mes deux jeunes enfants et j’étais focalisée sur le temps. Il faut du recul pour se rendre compte que derrière cette question du temps, il y a une question d’argent.
« Quand on parlait d’inégalités hommes-femmes, comme tout le monde, je pensais à celles concernant les salaires, qui vont plutôt en se résorbant, même s’il faudra encore un siècle pour arriver à l’égalité »
Quel est le décalage hommes-femmes dont tu étais la moins consciente ?
J’ai découvert une étude de Marion Leturcq et Nicolas Frémeaux qui montre que les écarts de patrimoine entre hommes et femmes s’aggravent (de 9 à 16 % entre 1998 et 2015, NDLR). Quand on parlait d’inégalités hommes-femmes, comme tout le monde, je pensais à celles concernant les salaires, qui vont plutôt en se résorbant, même s’il faudra encore un siècle pour arriver à l’égalité. Alors tu te demandes comment il est possible que l’écart entre les patrimoines s’aggrave quand on est censés aller vers un mieux.
Quelle est l’injustice qui t’a le plus révoltée ?
Ce truc de patrimoine, c’est le chiffre qui fait que tu regardes et découvres plein de choses. Il n’y a pas un moment où la société et son mari décident d’arnaquer Gwendoline. Ça n’arrive jamais comme ça. C’est pour ça que j’ai adopté cette structure avec Gwendoline, pour montrer l’addition. Une petite décision qu’elle ne voit pas comme étant économique, du genre s’occuper des enfants le mercredi, va entraîner ça et ça. Sur des années, ça s’accumule. Et on sait qu’il y a un vrai problème de pauvreté avec la retraite des femmes.
Quelles sont les choses concrètes que tu as changées dans ta gestion ?
On a ouvert un deuxième compte commun. En fait, on en avait déjà un parce qu’on avait acheté un appart ensemble, pour le crédit immobilier. Il ne faut pas que ce soit sur le même compte que celui des charges du ménage parce que tu ne participeras pas forcément au même pourcentage. Il y faut se répartir les dépenses, mais aussi la nature des dépenses. Et je me suis dit : « Attends, je donne mon argent et en plus je fais vachement plus de tâches ménagères. » C’est important de se dire que c’est un levier de négociation. Après, j’ai découvert cette question pas si évidente de ce que tu payes ou pas avec le compte commun. Par exemple, les livres pour enfants, je me disais : « C’est moi qui craque, c’est moi qui paye. » J’avais mis un truc en place et je ne le respectais pas. J’ai mis du temps à être à l’aise avec la carte du compte commun. L’avantage de mettre tout ça au clair et d’en parler, c’est qu’on a souvent l’impression de payer plus. En mettant tout à plat, ça assainit les choses. On a aussi réalisé qu’on n’était pas protégés parce qu’on n’était ni pacsés, ni mariés, ni rien.
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