Témoignage: « Comment ma famille a vécu mes 28 jours dans le coma »
Il y a deux ans, Marc-Antoine a passé quatre semaines dans le coma. Sa famille a vécu chaque seconde dans l’angoisse... D’après Florence Hainaut. Photos: Laetizia Bazzoni.
Un soir printanier, dans une jolie maison du Brabant wallon, nous avons rencontré Marc-Antoine, sexagénaire au rire tonitruant, et sa famille, festive et fusionnelle, que l’épisode a encore soudée. Il y a l’énergique Mamoune, de son vrai nom Françoise, les yeux bleu glacier, Charles, le frère DJ levé de sa sieste pour venir témoigner, et Mariella, la compagne de Marc-Antoine, qui paraît discrète au milieu de cette famille volcanique. Elle n’apprendra que plusieurs jours après que l’homme qu’elle aime est entre la vie et la mort.
Entre la vie et la mort
L’histoire commence bêtement, comme toutes les histoires terribles. Un voyage en République dominicaine, le paradis. « Et si on le prolongeait ? » Impossible de trouver un vol, Mariella et Marc-Antoine rentrent donc en Belgique. C’est ce qui les sauvera. Quelques jours passent, ils sont patraques. Elle consulte son médecin, qui la met sous antibiotiques. « Moi, on m’a dit de prendre du Dafalgan », dit-il. Regard outré de Mamoune : « On t’a dit ? C’est toi qui a décidé. C’est bien les hommes, ça, surtout ne pas se soigner. » Sa santé décline, il s’en inquiète auprès de son frère. C’est Charles, un soir, qui prévient le médecin, il y a urgence. L’ambulance arrive in extremis. À l’hôpital, il a 42,5 de fièvre, il fait un choc septique, tombe dans le coma. Charles est le premier à savoir. « J’apprends, juste avant de commencer à travailler, qu’il est entre la vie et la mort. Et je n’ai pas le choix, je dois bosser. »
Pendant ce temps-là, Mariella est alitée, « malade comme je ne l’avais jamais été. J’avais plus de 40 de fièvre. Ça a duré trois jours. J’ai dû faire des tests à l’hôpital et c’est là qu’on a découvert quelle bactérie m’avait infectée. C’est grâce à ça qu’on a découvert ce qu’il avait ». La légionellose, douloureux souvenir d’un voyage au paradis qui a failli être le dernier.
Comment avez- vous vécu cette annonce, quand on vous a dit que votre fils était dans le coma ?
Françoise : C’était très spécial. On est une famille très soudée. C’est Charles, mon fils, qui me l’a annoncé. Tout de suite ça a été le branle-bas de combat, de la part de toute la famille élargie. Et le calvaire a commencé. Mes fils ont été voir les médecins. Moi, dès que j’ai pu aller le voir aux soins intensifs, j’y suis allée. L’hôpital de Braine-l’Alleud nous a permis d’y aller tous les jours. Les médecins et tous les infirmiers et infirmières ont été extraordinaires.
Et qu’est-ce qu’on vous disait, exactement ?
Françoise : Qu’il était dans le coma et qu’il avait 3 chances sur 10 de vivre. Ce qui était épouvantable, c’est qu’on ne savait pas combien de temps ça allait durer. L’équipe médicale a toujours été honnête, ne nous a jamais nourris d’espoir. J’ai envisagé sa mort, évidemment.
Vous lui parliez, quand il était dans le coma ?
Charles : Qu’est-ce qu’on l’a tenue, cette main, je ne sais pas comment il n’a pas eu d’escarres. Chaque fois que j’ai pu lui rendre visite, le premier truc, c’était lui caresser le front, lui faire un bisou sur le front et puis lui prendre la main. On essayait de lui parler normalement, de la vie de tous les jours, de blaguer, de dire : « Allez, il est temps de te réveiller mon petit vieux », on lui racontait le quotidien, comme si on l’avait au téléphone.
Françoise : J’étais là avec ma chaise pliante. Je restais des heures. Je lui parlais de sa fille, Alice, qui attendait un bébé. Quand elle venait, on mettait la main de Marc-Antoine sur son ventre, c’était très mignon.
Mariella : Je lui parlais moins facilement que sa maman. Question de caractère, je suis moins expansive. Mais parfois, je lui disais qu’il n’avait pas le droit de me quitter, qu’il devait se battre, revenir. Sa famille m’a beaucoup soutenue parce qu’ils étaient plus positifs que moi. On lui parlait parce qu’on nous avait dit qu’il fallait, alors on essayait d’y croire. Et ça, tous les jours jusqu’à ce qu’il sorte du coma. Je ne sais pas comment font ceux qui vivent ça des années.
Marc-Antoine : Moi, je n’ai évidemment pas connu toute la douleur de mes proches. Ce que je sais, enfin, ce que je crois, c’est que l’amour des gens qui ont été autour de moi a probablement joué dans une certaine énergie vitale.
« On nous prépare surtout à un non-réveil. On est dans l’inconnu. Jamais on ne nous a dit : « OK, là, c’est bon » avant qu’il ne monte en revalidation. On ne nous a pas donné de faux espoirs. »
Charles : Ses enfants ont perdu espoir, comme beaucoup de ses proches, au bout de deux semaines, parce que ça n’évoluait pas. On avait l’impression que c’était de l’acharnement thérapeutique. Donc on était préparés au pire.
On vous a préparés à son réveil ? Au fait qu’il pourrait ne plus être le même ?
Charles : On nous prépare surtout à un non-réveil. On est dans l’inconnu. Jamais on ne nous a dit : « OK, là, c’est bon » avant qu’il ne monte en revalidation. On ne nous a pas donné de faux espoirs.
Est-ce que l’idée vous a traversés qu’il allait se réveiller et ne plus être lui-même ? Vous vous êtes dit que ce serait mieux qu’il ne se réveille pas ?
Françoise : Jamais !
Charles : Moi oui. Ses enfants aussi. Je sais qu’il n’aurait pas aimé être un « légume ». On a vécu ça avec notre père. C’est triste à dire, mais on est heureux qu’il soit parti, il aurait été malheureux s’il s’était réveillé, c’était une certitude. Avec Marc-Antoine, on était dans l’in- certitude. Ils nous disaient : « On ne sait pas dans quel état il va se réveiller, ni s’il va récupérer et en quel laps de temps, un mois, six mois, un an. »
Marc-Antoine : Je m’en souviendrai toute ma vie, c’était atroce. On ne sait plus où on est, ce qui s’est passé. Être attaché à son lit, ne pas pouvoir boire de l’eau pendant trois jours, être dans un état hagard, ne pas retrouver ses bases. Si on me demande aujourd’hui quelle a été la période la plus difficile de mon coma, c’est le réveil et les quatre ou cinq jours après.
Vous avez un regret ?
Françoise: Celui de ne pas avoir placé un cahier dans sa chambre pour permettre aux gens qui passaient de laisser un mot, un dessin, une impression. Une trace de cette période que lui n’a pas connue, finalement.
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