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Que signifie être mère en 2024?

Nous ne sommes peut-être que la moitié de l’humanité, mais nous l’avons créée touteentière. Ces premiers mots en quatrième de couverture de « Être mère », recueil de récits qui vient de paraître, sont le credo de Julia Kerninon, autrice du best seller Liv Maria qui invite six autres écrivaines à faire entrer avec elle la maternité en littérature, afin de lui donner la place qu’elle mérite aussi dans la réalité. Rencontre de deux de ces voix, Adeline Dieudonné et Victoire de Changy. Par Nicky Depasse.

C’est quoi, “être mère”, aujourd’hui ?

Adeline Dieudonné : Vaste question. Je répondrai factuellement que c’est avoir des enfants. C’est aussi être à la fois sacralisée et culpabilisée.

La maternité est un bouleversement dans notre vie de femme. Comment est-elle perçue dans notre société aujourd’hui ?

Adeline Dieudonné : Il y a beaucoup d’injonctions : en gros, si on travaille, on nous reproche de ne pas nous occuper de nos enfants mais quand on s’en occupe, on nous reproche de ne pas travailler. Je la perçois comme extrêmement culpabilisante …

Victoire de Changy : … alors que c’est censé être extrêmement naturel. Il y a aussi une injonction à la joie : c’est censé être principalement heureux alors que c’est un apprentissage énorme, une tâche infinie.

Justement Adeline, dans votre récit, vous parlez de “créatures nues”. Une fois qu’on a un enfant, on a peur d’énormément de choses : la maladie, les accidents, l’enlèvement, et de nos jours, on redoute le suicide.

Adeline Dieudonné : On est très seules avec nos peurs alors qu’elles sont légitimes. Le suicide est la première cause de mortalité chez les 18-25 ans : il ne s’agit donc pas d’une peur absurde ou irraisonnée. Le risque pour mes filles d’être victime d’un viol, d’être maltraitée un jour par l’homme qu’elles aiment existe mais ce n’est pas facile de l’évoquer car les gens n’aiment pas qu’on parle de choses négatives. Alors, on les balaye. Mais je dis
que si on les balaye, c’est parce qu’on les ressent toutes et donc, on redoute, on évite de creuser le sujet.

Pourquoi cette peur, ce désarroi d’être mère reste un sujet tabou ?

Victoire de Changy : Il ne l’est pas tant qu’on reste dans le domaine du physique : les douleurs de l’accouchement, de l’allaitement ou des retours de couche. Ce sont des choses qu’on aborde très facilement avec des proches et des copines mais pas avec des hommes car ils ne se sentent pas concernés, ils trouvent que c’est sale et qu’ils n’ont pas besoin de savoir. La maternité est, à l’image du corps des femmes, à la fois sacralisée et dévalorisée, raison pour laquelle on a encore du mal à en parler.

Votre récit, Victoire, évoque plutôt la question de savoir quand on redevient “normale”.

Victoire de Changy : En fait, on ne le redevient jamais. Quand vais-je me remettre à m’habiller comme avant ? etc, c’est une suite de questions qui continue à m’animer en tant que mère. J’avais déjà publié un recueil de textes que j’avais écrit quand j’étais enceinte de mon premier enfant, La paume plus grande que toi, et qui raconte les neuf mois de maternité.

Est-ce que les jeunes femmes d’aujourd’hui ont encore, entre 20 et 30 ans, la même envie de materner ?

Victoire de Changy : Je crois qu’on se pose plus franchement la question du désir de maternité aujourd’hui qu’auparavant. Alors nous, qui sommes encore jeunes, nous la posions pas vraiment.

Je crois qu’il y a des jeunes femmes qui se posent la question de la maternité car elles sentent que la répartition des tâches ne sera pas équitable. La question de l’éco anxiété est aussi un phénomène nouveau mais bien réel.

Adeline Dieudonné : Ainsi que les obstacles à la maternité comme la question de la répartition des charges parentales. Je crois qu’il y a des jeunes femmes qui se posent la question de la maternité car elles sentent que la répartition des tâches ne sera pas équitable. La question de l’éco anxiété est aussi un phénomène nouveau mais bien réel. Enfin, que des femmes aient le pouvoir de préférer consacrer le temps de la maternité à une carrière professionnelle ou une passion pour l’art, ou le sport, est réjouissant.

Victoire de Changy : C’est réjouissant que cette jeune génération se pose la question et fasse ses choix en conscience.

Adeline, vous avez été maman très jeune. Si c’était à refaire ?

Adeline Dieudonné : Si c’était à refaire, je ferais tout pareil parce que mes filles sont là et qu’elles sont absolument merveilleuses. Je ne changerais pas une virgule dans ma vie pour en arriver à aujourd’hui. En tant qu’autrice, je vois tout le retard que j’ai pris : pendant que je faisais un enfant, que j’apprenais à nouer une écharpe de portage, d’autres faisaient de grandes études de lettres, écrivaient, publiaient, accumulaient de l’expérience. J’ai donc pris du retard …

Victoire de Changy : C’est encore une injonction.

Adeline Dieudonné : C’est vrai. Et heureusement, je vois que d’un autre côté, mes filles sont grandes alors que je n’ai que 41 ans. Aujourd’hui, je suis libre alors que beaucoup de femmes de mon âge sont extrêmement occupées avec de tout petits enfants. Je suis donc heureuse d’avoir eu mes enfants, jeune.

La sexualité, alors qu’on est maman, c’est une question ?

Victoire de Changy : Julia Kerninon l’évoque dans son texte mais cela n’a jamais été un sujet de préoccupation pour Adeline et moi.

Adeline Dieudonné : A part de grandes généralités comme la vie de couple qui pâtit de l’arrivée d’un enfant car il ne dort pas quand on a envie qu’il dorme, ça bouleverse, ça fatigue, ce qui complique la question de la sexualité dans le couple. Mais je pourrais mettre ça sur le compte de la répartition des tâches : si elle était mieux répartie, peut-être la sexualité s’en porterait-elle mieux.

Victoire de Changy : C’est de nouveau une injonction que de continuer à avoir une sexualité dense et épanouie alors qu’on met tellement d’énergie à s’occuper de nos enfants quand ils sont tout petits.

Dans vos préoccupations, quels sont les thèmes que vous voulez mettre en avant ?

Adeline Dieudonné : Une remise en question profonde de notre société : détruire le système du patriarcat et du capitalisme.

Victoire de Changy : Comme le congé parental, c’est là que tout commence. Impliquer les deux parents de la même façon, régler les inégalités à la base.

Comment avez-vous réagi quand on vous a proposé de participer à ce projet de recueil ?

Victoire de Changy : Dernière arrivée, je ne disposais que de six semaines mais j’avais déjà écrit sur le sujet de la maternité, ce qui m’a sauvée.

Adeline Dieudonné : Cela a été particulièrement compliqué car je n’avais jamais écrit à la première personne, jamais évoqué l’intime, j’ai toujours l’écran de la fiction entre le lecteur et moi, ce qui me facilite bien la vie. De plus, une copine de classe de ma fille s’était suicidée, ce qui a mis une couche supplémentaire de peur dans ma condition de mère qui n’était pas facile à gérer. Je craignais d’écrire des choses extrêmement négatives sur le sujet. J’ai donc beaucoup rechigné et j’ai finalement mis plus d’un an pour remettre mon texte.

En conclusion, une question simple : comment allez-vous aujourd’hui, en tantque mères ?

Victoire de Changy : Je suis fatiguée, personnellement, mais je vais bien. Je vois mes enfants devenir des petites personnes et je trouve ça exaltant.

Adeline Dieudonné : Je vais bien aussi. J’ai une belle relation avec mes filles, et surtout, je commence à voir le bout du tunnel car elles sont grandes, à présent. J’ai l’impression de récolter avec mes filles, ce que j’ai semé pendant des années. C’est à la fois agréable et inattendu car quand on est parent, on fait ce qu’il faut faire et on n’en attend rien en retour. Et ce retour que j’ai d’elles à présent, je le prends comme un cadeau, un bonus.

  • ÊTRE MÈRE, Adeline Dieudonné, Victoire de Changy, Julia Kerninon, Clémentine Beauvais, Camille Anseaume et Louise Browaeys, 200P, Ed. L’ICONOCLASTE.

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