Psycho-généalogie: comment se détacher des traumas transgénérationnels?

Laura Swysen

Connaissez-vous la psycho-généalogie? Nos comportements peuvent être en partie conditionnés par des faits antérieurs à notre naissance. Même si nous en ignorons l’existence. Et quand ils nous bloquent, la seule manière d’avancer, c’est de les revisiter. Alors en route ! Par Annelore De Donder et Anne-Sophie Kersten.    

Et si votre avenir se trouvait dans le passé de vos ancêtres? Tel est le concept de la psycho-généalogie. Constatant que ses patients présentent des problèmes ou des schémas négatifs récurrents, a psychologue hongroise Noémi Orvos-Tóth explore l’impact — invisible — sur leur fonctionnement des blessures non digérées de leurs ancêtres et en quoi celles-ci affectent leurs choix et limitent leur liberté. Son credo : « Sans examen du passé, il nous manque des éléments pour comprendre qui nous sommes et pourquoi nous menons la vie que nous menons. »

Un parfait exemple de psycho-généalogie

Tout le monde se souvient de Van Gogh comme d’un génie tourmenté qui s’est coupé l’oreille et qui plus tard a mis fin à ses jours. Dans sa correspondance, on découvre l’acharnement qu’il mettait au travail, les exigences élevées qu’il s’imposait, l’épuisement qui en découlait. Celui qui parlait de lui comme d’un « raté » était extrêmement strict avec lui-même. « Vincent Van Gogh est né un an jour pour jour après que sa mère a donné naissance à un fils mort-né, également prénommé Vincent, raconte Noémi Orvos-Tóth. En plus, le jeune Vincent était souvent amené sur la tombe de son homonyme. Plus tard, lorsque son frère Theo a eu un fils, ce dernier a été appelé Vincent aussi. » Six mois après la naissance de son neveu, le peintre se suicide. La psychologue poursuit : « Je ne serais pas surprise que Van Gogh ait eu le sentiment d’être une fois de plus remplacé, de ne pas être “suffisant”. »

À la lecture de ces faits, ce passage d’une de ses lettres prend un éclairage tout particulier : « Ma vie est affectée à la racine. » La perte du premier Vincent a été un traumatisme pour les parents et cela a pu peser lourd sur les épaules de l’enfant « de remplacement ». Van Gogh souffrait de dépression et d’anxiété, contre lesquels son art était, disait-il, « un paratonnerre ». Relier l’épisode de l’oreille coupée uniquement à ce passé non traité est probablement simpliste, mais il est tout à fait plausible que la douleur vive de ses parents se soit infiltrée en lui. C’est en tout cas cela que les psychologues appellent « trauma transgénérationnel ».

Grand ou petit trauma

Sans aller jusqu’à une volonté de s’automutiler, il nous arrive à tous de « ne pas savoir quoi faire de nous-même », de ressentir un vide ou une colère démesurée, de souffrir d’une faible estime de soi, d’anxiété, d’agitation, de cauchemars, d’un perfectionnisme disproportionné ou d’un manque de sens des responsabilités… Des symptômes que nous percevons comme « plus forts que nous », qui peuvent nous « tomber dessus » à l’improviste ou être comme toujours en sommeil quelque part. C’est le signe que quelque chose de plus profond est en train de couver, le signe d’un trauma non traité, pour la psychothérapeute experte en psycho-généalogie Ybe Casteleyn : « Le mot grec “trauma” signifie “blessure”. Un psychotraumatisme est une blessure psychologique qui n’a pas été guérie et dont les effets perdurent sans même qu’on en soit conscient. Le mal-être qui en résulte ne dépend pas de l’expérience passée en soi, mais de la manière dont on l’a vécue, de sa capacité de résilience. »

Tout le monde traîne ses « casseroles » — conscientes ou non —, mais tout le monde n’est pas traumatisé.

Un trauma est plus qu’un sentiment désagréable : « Il a une influence décisive sur le développement de la personnalité, de l’image de soi, de sa vie, de sa capacité à créer des liens, de sa confiance en soi, en la vie », précise Noémi Orvos-Tóth. Il y a des événements qui sont indubitablement traumatisants, les traumatismes avec un grand T : « Il s’agit d’événements graves comme la maltraitance, les abus sexuels ou la négligence. » Et il y a ceux avec un petit t : « Être victime de brimades, grandir dans une famille dysfonctionnelle, subir un divorce, des tabous dans la famille, une tromperie, un accident, le décès d’un proche... » Ybe Casteleyn confirme : « Si ces traumatismes ne sont pas reconnus ou traités correctement, s’ils sont étouffés, ignorés, évités, ils peuvent devenir dommageables de façon permanente. »

Le trauma dès la panade

« Ce sont surtout les traumas subis au sein de notre famille d’origine qui impactent notre existence, affirme Ybe Casteleyn. Ces traumas de base nous freinent dans la découverte de qui nous sommes, de ce que nous voulons devenir. » Dans le cas des traumas transgénérationnels, des (grands-)parents meurtris nous transfèrent inconsciemment leurs croyances, leurs mécanismes d’adaptation — frustration, peur, colère... — et dès lors leurs comportements. Telle est la définition de la psycho-généalogie.

« Lorsque les parents souffrent, les enfants souffrent inévitablement avec eux, continue Ybe Casteleyn. Même bébé, nous percevons le chagrin de nos parents, à travers la façon dont ils nous regardent, nous tiennent et se comportent l’un avec l’autre, par ce qu’ils dégagent. Même enfants, nous sentons quels sujets sont sensibles ou tabous. » Le comportement des parents détermine la manière dont l’enfant va apprendre à créer les liens : avec ou sans sentiment de sécurité ? Une relation patiente, aimante, sur la durée, est-elle possible avec les parents ? Ou sont-ils distants, méprisants et (émotionnellement) indisponibles parce que préoccupés par leurs propres démons ?

L’attachement sécurisant crée un sentiment de confiance qui est fondamental pour le reste de la vie : la conviction que le monde est OK, que les autres sont OK et qu’on l’est soi-même aussi 

On peut même l’observer dans le cerveau, affirme Noémi Orvos-Tóth : « Aujourd’hui, les scanners cérébraux montrent très précisément ce qui se passe dans le système nerveux d’un enfant traumatisé : ses hormones de stress inondent le système nerveux encore immature, ce qui va réellement impacter son développement. » Ce phénomène peut déjà se produire in utero : dans ses recherches sur l’influence du corps de la mère sur l’embryon, Vivette Glover, professeure de psychologie périnatale à l’Imperial College de Londres, affirme que l’état émotionnel de la mère affecte le développement du système nerveux de l’embryon. « Les bébés de mères souffrant d’anxiété et de dépression sont eux-mêmes plus susceptibles de présenter des symptômes d’anxiété et de dépression, des troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité (TDAH), des difficultés d’apprentissage et des problèmes cognitifs », complète Noémi Orvos-Tóth.

La psycho-généalogie, un héritage des ancêtres

Les traumas peuvent être transmis par les parents à leurs enfants et se répandre sur des branches entières de l’arbre généalogique ; le phénomène est réellement transgénérationnel. C’est le cas de Noémi Orvos-Tóth elle-même : « Je m’attendais à ce que la naissance de ma fille, il y a 21 ans, soit le plus beau jour de ma vie. Mais au lieu d’un bonheur suprême, tout ce que j’ai ressenti, c’est une peur soudaine et disproportionnée, jamais vécue auparavant. J’étais paralysée par l’idée atroce que je pouvais la perdre. » Il s’est avéré que cette peur était déjà profondément présente dans le passé de sa famille.

« L’histoire de ma famille est marquée par un schéma de perte », explique la psychologue. Sa grand-mère maternelle est devenue orpheline avant ses 9 ans, puis a perdu deux bébés et son mari est mort prématurément. Son arrière-grand-père est né trois jours après la mort de son propre père et alors que son frère était mourant. Du côté de son père, sa grand-mère a été retirée à son père et à ses frères après le divorce de ses parents ; son grand amour est mort six mois après leur mariage et elle a perdu un fils à l’âge d’un an et demi. « Dans ma famille, l’amour et la mort sont liés » : telle est la douloureuse croyance dont Noémi Orvos-Tóth a hérité et qui s’est déclenchée en elle à la naissance de sa fille.

Traumatisé sans avoir vécu de trauma

En effet : on peut aussi être traumatisé sans avoir été directement témoin de l’expérience traumatisante. Encore plus étrange : même sans en avoir été informé. Cela a été scientifiquement prouvé : « En 2014, une étude a été publiée dans la revue scientifique Nature Neuroscience par des chercheurs de l’Université Emory (Atlanta), détaille Noémi Orvos-Tóth. Ils avaient vaporisé à plusieurs reprises l’odeur de la fleur du cerisier dans une cage de souris pendant que les rongeurs étaient exposés à un léger choc électrique ; elles ont rapidement appris à avoir peur de ce parfum. Les chercheurs ont constaté qu’il déclenchait également des réactions de peur chez les souris de la deuxième et de la troisième génération, bien qu’elles n’aient jamais reçu de chocs électriques. »

Les traumatismes s’inscrivent dans les gènes. Autrement dit : sous l’influence du stress, le corps active ou inhibe certains gènes, les rendant moins efficaces, notamment dans le développement du cerveau. Les recherches étonnantes du docteur américain Vincent Felitti, par exemple, ont montré que les enfants ayant vécu des expériences douloureuses dans leur enfance sont plus susceptibles de développer une fragilité pulmonaire, de l’asthme, des problèmes de croissance et des troubles de l’apprentissage et du comportement, et présentent un risque accru à long terme de dépression, de maladie cardiaque, de cancer ou de diabète. C’est comme un programme biologique censé nous protéger contre d’éventuelles situations stressantes », explique Noémi Orvos-Tóth.

Choisir son destin

Pour prendre un peu de recul, on peut suivre une psychothérapie, par exemple avec l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing, ou désensibilisation et reprogrammation par des mouvements oculaires), dont les effets bénéfiques sur le plan épigénétique ont été largement prouvés. Dans sa pratique, la psychologue invite ses patients à réaliser un « génosociogramme » qui, à la différence d’un arbre généalogique classique, représente la famille — troisième, voire quatrième génération incluse —, avec certaines précisions sur les relations et interactions entre ses membres, les histoires et les événements importants de leurs vies (même les influences historiques pertinentes), depuis les maladies héréditaires jusqu’aux changements de nom en passant par les crimes commis. Ce génosociogramme facilite « l’analyse de votre destin ».

Retrouvez ce dossier en intégralité dans le GAEL de décembre disponible en librairie.

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