Pourquoi je n’arrive plus à me concentrer et comment y remédier?
Notre capacité de concentration s’approche dangereusement de celle du poisson rouge. Sous l’avalanche des stimuli et sous l’effet de notre addiction aux écrans, c’est à peine si on arrive encore à lire un livre. Une dispersion qui inquiète les psychologues et neuroscientifiques, mais qu’ils estiment réversible. Par Lene Kemps et Anne-Sophie Kersten.
Vous aussi, vous vous faites souvent ce genre de réflexion ? Quelques chiffres : environ 62 % des gens consultent leur téléphone dans les 15 minutes qui suivent leur réveil et environ 50 % le font au milieu de la nuit. Selon une étude de 2022, les Américains consultent leur téléphone en moyenne 352 fois par jour, soit une fois toutes les 2,43 minutes. Les étudiants n’arrivent à se concentrer sur une tâche que pendant 19 secondes et les employés de bureau 3 minutes. Notre concentration s’est tellement diffractée que nous n’entrons plus que rarement dans le flow, ce génial flux de concentration qui nous fait perdre la notion du temps tant nous sommes absorbés par notre tâche.
Pourquoi suis-je distrait?
« Il y a neuf ans, j’ai publié mon premier livre, Better mind (éd. Lannoo), où je mettais en garde contre une crise du cerveau, explique la neuropsychologue belge Elke Geraerts. Avec notre formidable intelligence, nous avons créé un monde que nous ne pouvons plus suivre. Nous sommes surstimulés par un tsunami d’informations et de sollicitations. Nos vies s’emballent et il semble de plus en plus difficile d’appuyer sur pause. »
Mais ne rejetons pas toute la faute sur les technologies modernes. Notre cerveau aime tout simplement être distrait. Les psychologues de Harvard ont observé que, même dans les activités sur lesquelles nous nous concentrons vraiment, notre cerveau est distrait 30 % du temps. Notre esprit est par nature attiré par le vagabondage.
Nous sommes programmés pour scruter régulièrement notre environnement à la recherche d’un danger éventuel, c’est un mécanisme de survie qui avait toute son utilité à l’époque où nous courions des dangers immédiats
Fabien Olicard
Mentaliste
Mais des facteurs psychologiques entrent aussi en jeu. La neuropsychologue : « Notre cerveau aime s’amuser : il évite donc de s’attacher aux tâches difficiles et inconfortables. Je vous conseille d’essayer de repérer vos propres déclencheurs internes: quand cherchez-vous à vous distraire, à quoi voulez-vous échapper ? Si vous connaissez ces mécanismes personnels, vous trouverez plus facilement des stratégies pour y faire face et rester concentré sur ce qui vous tient à cœur. », explique Fabien Olicard, un mentaliste français passionné par les sciences et la psychologie humaine.
Comment améliorer sa mémoire?
Le neuroscientifique allemand Boris Konrad est un expert de la mémoire, capable de retenir 201 noms et visages en 15 minutes ou de prendre les commandes de 50 clients d’un restaurant en 4 minutes. À une époque où il est si facile de déléguer toute mémorisation à nos outils technologiques, il recommande d’entraîner sa mémoire dans le but, encore plus utile, de créer plus de calme et d’espace dans sa tête. « Entraîner sa mémoire aide également à vieillir plus en paix. Je ne prétends pas que cela stoppe la démence ou protège contre la maladie d’Alzheimer, mais cela a un effet tampon, comme une réserve cognitive. La plupart des études montrent que les personnes qui font beaucoup appel à leur mémoire la conservent plus longtemps. »
Cela semble facile, dit comme ça, mais en pratique ça ne l’est pas. Car la concentration, c’est : use it or lose it. Ça se travaille.
Boris Konrad
neuroscientifique
Pour pouvoir activer sa mémoire, il faut se concentrer sur… sa concentration, qui fonctionne tel un spot lumineux qui attire l’attention sur les sujets choisis et qui l’y maintient. « Cette compétence se loge principalement dans la mémoire dite « de travail », explique Boris Konrad. Or, la capacité de cette mémoire est assez faible et elle est capable de passer rapidement d’une tâche à l’autre. Voilà pourquoi cela demande un effort de rester focus sur une tâche. Vous voulez lire un livre ? Concentrez-vous donc sur ce bouquin et ne vous ruez pas sur votre téléphone au premier ding. Cela semble facile, dit comme ça, mais en pratique ça ne l’est pas. Car la concentration, c’est : use it or lose it. Ça se travaille. »
Quelques gestes concrets pour être plus concentré
Elke Geraerts : « Le gouvernement belge a introduit la loi sur la déconnexion en 2023. Il s’agit d’une limite officielle claire : on ne doit pas être disponible pour notre employeur en dehors des heures de travail. On peut dire que c’est une goutte d’eau dans l’océan. Il est logique de se déconnecter après le travail. Et il faut d’ailleurs aussi le faire, par micropauses, pendant le travail, si l’on veut maintenir notre cerveau en forme. On ne peut pas être branché en permanence. Et ne pas passer ces pauses derrière un écran, sans quoi on continuera à solliciter notre cerveau. Sortons, respirons de l’air frais, reposons notre tête, papotons à la machine à café, sortons déjeuner avec un ami...
Bien entendu, les mêmes observations s’appliquent à la maison. Ne remplaçons pas le surf sur l’ordinateur par la télévision. Bien sûr, un bon film peut être très agréable, mais une vraie bonne pause est celle où l’on n’absorbe pas de nouvelles informations et où on laisse sciemment notre esprit vagabonder. On fait le vide dans notre tête en faisant de l’exercice physique. On privilégie les activités qui nourrissent notre corps et notre esprit, comme la marche, une alimentation saine, une sieste. En choisissant consciemment des activités qui nous procurent de l’énergie, on aide mieux notre concentration.
Ces facteurs qui nuisent à votre concentration
En enquêtant sur les causes de sa concentration en berne, les experts ont isolé pas moins de douze facteurs scientifiquement fondés. De la pollution environnementale au stress en passant par le manque de sommeil, l’accélération du rythme de la vie et la malbouffe, sans oublier, bien sûr, la technologie moderne et le modèle commercial sous-jacent qui vise à créer une dépendance. « Facebook, TikTok ou tout autre média social veut que vous lui accordiez votre attention à chaque instant, pour ensuite gagner de l’argent grâce à vous. Ils établissent donc votre profil afin de vous bombarder d’informations pertinentes et bien ciblées. »
Bien sûr, on peut commencer par soi-même et changer son propre comportement. Mais c’est comme si quelqu’un nous jetait du poil à gratter toute la journée et nous donnait le conseil suivant : « Va méditer, tu te gratteras moins. » La méditation a des effets puissants, certes, mais ce qu’il faut vraiment, c’est limiter ce spray irritant. Johann Hari et Fabien Olicard voient des conséquences sociales majeures dans ce vol de notre attention. Ce n’est pas une coïncidence si la démocratie est en crise en même temps que notre cerveau. Nous ne pouvons plus nous écouter les uns les autres, nous ne pouvons plus nous concentrer sur les grands problèmes qui demandent de développer des réflexions élaborées, exigeantes, complexes.
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