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Pensées incessantes: comment arrêter de ruminer?

Quand on ne peut s’empêcher de ruminer, une pensée entraîne forcément une, deux ou trois autres. Vous frôlez l’avalanche? Notre journaliste a essayé d’arrêter de ruminer pendant un mois. Par Hanne Vlogaert, avec la collaboration de Marie Aubin.

Les angoissés font feu de tout bois, d’un mot mal interprété aux catastrophes climatiques. Mais quand leur cerveau s’embrase, l’incendie peut devenir compliqué à maîtriser. Il est temps de sortir l’extincteur....

C’est décidé, j’arrête de ruminer!

Je le sais, mon entourage le sait et bientôt, vous le saurez aussi : je ne peux pas m’empêcher de ruminer. Je ne compte plus les soirées où je perds la moitié de la conversation ou des dialogues de ma série préférée parce que mon esprit est trop occupé à ressasser mille et une choses qui n’ont rien à voir. Au fil des ans, j’ai de plus en plus de mal à m’extirper de ces pensées qui tournent en boucle et qui, pour Dieu sait quelle raison, s’orientent toujours vers des scénarios catastrophes. C’est gênant, non seulement pour ceux qui m’entourent, mais surtout pour ma tranquillité d’esprit et ma productivité.

Classifier les pensées

La plupart des gens ont ce type de pensées, qu’ils classent ensuite comme « pas très importantes » ou « importantes, mais auxquelles on pensera quand ce sera le moment », voire « importantes, mais comme on ne peut rien y changer, n’y pensons plus ». Pas moi. Chez moi, la pensée surgit, puis se mue en une légère sensation de panique qui envahit ma poitrine, pour remonter ensuite vers ma tête où elle génère un tsunami de pensées, commentaires et issues possibles — certains plus irrationnels et disproportionnés que d’autres, mais avec toujours le même résultat : en fin de journée, je suis épuisée à force d’angoisser.

Ruminer: l’origine du mécanisme

Apparemment, je suis loin d’être la seule. Différentes publications scientifiques décrivent cette tendance à répéter inlassablement le même flux de pensées négatives, qui non seulement n’aident pas à avancer, mais au contraire nourrissent les idées noires. La caractéristique de la rumination mentale, c’est qu’elle n’a pas de frein : quand le train démarre, rien ne l’arrête. D’où vient cette forme assez sévère de « pensite aiguë » dont je suis affublée ? Les chercheurs en psychologie disent qu’il y a une part héréditaire : si on est doté d’une nature plutôt perfectionniste, voire angoissée, et qu’on a des parents qui cogitent beaucoup, on risque de prendre cette habitude dès l’enfance.

Un autre facteur important est l’expérience de vie : les personnes qui n’ont pas vécu une enfance sécurisante développent un système d’alarme plus sensible. Le corps et l’esprit se mettent plus rapidement en mode « combat » (et rumination), dans une tentative de se prémunir de nouvelles menaces et déceptions.

C’est un mécanisme aussi ancien que l’humanité, explique F. Raes, thérapeute comportemental et professeur en psychologie : « C’est lié à l’évolution humaine. L’être humain ne s’est pas retrouvé sur Terre pour s’amuser et se distraire, mais pour survivre. Détecter le danger potentiel est un mécanisme inscrit au plus profond de notre cerveau archaïque. Mais l’embêtant — et il y a là une forme de paradoxe —, c’est que dans de nombreuses situations, cogiter n’est pas la solution. Avec toute cette rumination, le cerveau peut penser qu’il travaille dur pour vous protéger d’un danger possible, mais il s’avère complètement inefficace. »

Comment arrêter de ruminer?

Cette mauvaise habitude que j’ai de ruminer, peut-on s’en débarrasser ? Le thérapeute me propose un plan d’action d’un mois. Mais il me met en garde d’emblée : le but n’est pas de me débarrasser de mes ruminations, car la surcogitation est une façon d’être ; on ne peut pas en changer. Mais je pourrais changer ma relation avec mes pensées en boucle, afin de ne plus me laisser piéger par elles. Voilà qui me semble plein de bon sens. Condensé de mon journal de bord de ce voyage d’un mois, destination : un mental apaisé.

Mon journal de rumination

Lundi, 9 h 30. Ding, un e-mail. On me relance pour la énième fois à propos d’un rendez-vous que je n’arrête pas de repousser. Le ton est direct, l’« invitation » semble ne pas me laisser tellement la possibilité de refuser. Je me sens tiraillée : je n’aime pas décevoir ; je me sens un peu obligée, mais je n’ai pas vraiment le temps. Le train de la rumination se met en branle, mais — ah ! ah ! —, je l’ai reconnu ! Le malaise fait place à une légère fierté car, comme dit le psy : remarquer qu’on est en train de ruminer est un premier pas.

« Les gens ont rarement conscience qu’ils sont en train d’angoisser. Ils s’en rendent compte quand ils viennent d’y perdre leur journée. C’est pourquoi je propose comme premier exercice de remarquer ce qui se passe dans votre esprit. Pour mieux percevoir ce qu’est la rumination mentale et à quoi elle ressemble. »

Une fois qu’on a pris nos idées noires sur le vif, il s’agit de s’en distancier. Le psy m’a expliqué que quand on arrive à considérer nos ruminations comme une voix qui tente de nous persuader de quelque chose, on peut plus facilement ne pas se laisser entraîner par elles. Il suggère de donner un nom à cette petite voix. À l’époque où il était lui-même sujet aux ruminations, il avait baptisé la sienne Sœur Paula. J’opte pour une méthode alternative : je ne choisis pas un nom, mais une image. Celle d’une gigantesque matriochka, la plus grande de toute une famille de poupées russes. Je n’ai plus qu’à fourrer toutes mes pensées dérangeantes dans son ventre creux. Et ça marche ! Du moins pendant quelques heures. Je lunche avec une copine et je m’entends lui déverser tout mon inconfort. Mission pas tout à fait accomplie, mais c’est un début, non ?

Animal social 

Avant de rencontrer le psy, je ne m’étais jamais attardée sur certains aspects de mes ruminations, ni à leur effet. Un vendredi soir, 19 h 30, je suis à une fête où je connais très peu de gens. On me pose une question, je donne une réponse que je juge stupide dans ma tête, et c’est parti : « Elle ne te connaît pas, elle doit penser que tu es débile. Comment rectifier le tir ? Vite, vite, trouver un sujet de conversation qui te fera paraître moins idiote ! »

Là encore, il s’agit de remarquer mes pensées et de faire preuve de bienveillance. Le thérapeute : « Vous n’êtes pas seule dans ce cas, rassurez-vous. La plupart des gens se préoccupent de ce que les autres pensent d’eux. Avec l’argent, le travail, les études, ça fait partie des thèmes qui préoccupent le plus les personnes. Là aussi, la raison est évolutionnaire. L’humain est un animal social, qui a eu littéralement besoin des autres pour survivre en tant qu’espèce. C’est de là que vient notre besoin d’être bien perçu par le groupe et d’être aimé. »  Le côté positif de toute cette angoisse sociale ? C’est le signe qu’on accorde de l’importance à ceux qui nous entourent, sinon, leur avis nous importerait peu.

« On oublie que les personnes dont l’avis compte tant pour nous sont généralement, elles aussi, sujettes à des doutes. Qui sait si elles ne sont pas en train de se soucier de l’impression qu’elles vous font ? Dans un contexte social, les gens sont bien moins occupés à vous juger que vous ne le craignez, car leur esprit est ailleurs. »

La technique de l’arbre

Bon d’une semaine : jeudi, 14 h 15. Nous sommes à Paris pour trois jours avec l’idée, entre autres, de finaliser les courses de Noël. Sympa, me direz-vous… Sauf que cette année, à mon stress habituel — est-ce raisonnable de partir avec tout le boulot que j’ai ? — s’ajoute une pensée amère : n’est-ce pas déplacé d’être aussi insouciant alors que le monde brûle ? Je repense aux mots du thérapeute : « Il y a des questions légitimes, que quasi tout le monde se pose dans la période actuelle. Ce qui n’aide pas, c’est que les questions sociétales complexes n’ont pas de réponse simple ou directe. » Il me conseille d’appliquer un « arbre décisionnel de l’inquiétude ». « Chaque moment de rumination vous met devant un choix. Est-ce que la question pourrait avoir une solution ici et maintenant ? Y a-t-il quelque chose que vous puissiez faire ? Alors, faites-le. Si c’est : “Oui, mais pas maintenant”, notez-le dans votre agenda. Et si la conclusion est qu’il n’y a rien à faire, trouvez-vous une activité à laquelle consacrer votre énergie. Cela ne fera pas cesser l’inquiétude, mais détournera votre attention. » 

La métaphore du cactus

Dimanche, 13 h 30 : j’en ai plus qu’assez d’accorder autant d’attention à mes angoisses. Cela me confronte à la fréquence avec laquelle mes ruminations dominent ma vie. Je me gronde moi-même : a-t-on idée d’être une élève aussi lente ? Quand je lui raconte, mon psy sourit : « C’est exactement l’inverse de ce qu’il faut faire pour que la fameuse petite voix parle moins fort… » Je connais la leçon, bien sûr : il faut accueillir avec bienveillance le critique intérieur. Le gratifier d’un sourire. Faire preuve de compassion pour son propre mental. J’avoue ne pas être très douée pour ça…

Il est souvent plus facile d’avoir de la compassion pour cet enfant que pour la version adulte de soi. » Je m’aide de la métaphore du cactus : « Imaginez que la voix de vos ruminations est un cactus dans votre main. Si vous essayez de l’écraser, il vous pique. Mais si vous le laissez reposer tranquillement dans votre paume ouverte, il ne vous fera aucun mal. 

Le thérapeute me rassure : « Là non plus, vous n’êtes pas la seule. On parle beaucoup de la pleine conscience, et le but est le même : constater et accepter ce qui est, sans juger. Y compris vos ruminations. Il faut savoir qu’elles proviennent d’une version plus jeune de vous-même : une part enfantine qui a rencontré des situations difficiles à un moment donné et qui a cru que ruminer était une stratégie de survie valable. Il est souvent plus facile d’avoir de la compassion pour cet enfant que pour la version adulte de soi. » Je m’aide de la métaphore du cactus : « Imaginez que la voix de vos ruminations est un cactus dans votre main. Si vous essayez de l’écraser, il vous pique. Mais si vous le laissez reposer tranquillement dans votre paume ouverte, il ne vous fera aucun mal. »

« Pour pouvoir les accueillir, il est important de comprendre d’où viennent les peurs. C’est pourquoi je demande souvent à mes étudiants qui craignent l’échec de quoi ils ont peur exactement, et s’ils ont une idée d’où ça vient. Prendre conscience de l’histoire derrière le mécanisme est souvent une première étape. Ensuite, nous voyons ensemble quel pourrait être le premier pas concret qu’ils pourraient faire dans les prochaines vingt-quatre heures pour se mettre au travail malgré tout. »

Bien dans sa peau

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